L’attention est une fonction de notre cerveau. Elle nous permet de faire des choix, instant après instant, dans le flux incessant d’informations qui nous arrivent. Nos choix ont des conséquences : ils déterminent notre comportement et nos actions ainsi que la qualité de nos apprentissages, de notre relation au monde et de nos contacts avec les autres. Notre connaissance du monde, des autres et de nous-même dépend de notre attention....
Le livret "L'attention en quelques pages", téléchargeable ci-dessus, présente ce thème majeur de recherche des sciences cognitives autour de cinq parties :
- Qu'est-ce que l'attention
- Trois formes d'attention
- L'attention : un équilibre
- Attention sociale ou attention conjointe
- Le cerveau attentif
L'attention en bref
Une attention ou des attentions ?
Trois formes d’attention, impliquant des réseaux neuronaux distincts, sont généralement décrites :
- La vigilance (dite aussi attention soutenue ou éveil attentionnel) ;
- L’attention sélective : souvent représentée par l’image du faisceau d’un projecteur que nous dirigeons sur la perception d’un objet physique (ce que nous voyons, entendons,…) ou d’un phénomène mental (une pensée, une envie), parmi d’autres qui restent dans l’ombre. Notre attention est limitée ;
- L’attention exécutive nous permet de nous adapter à une situation non routinière.
L’équilibre attentionnel
Notre attention se déplace : il est facile, dans la vie de tous les jours, de ressentir ses déplacements et l’alternance entre distraction et attention.
Les mouvements de notre attention dépendent de forces plus ou moins maitrisables. Il existe, dans notre cerveau, des systèmes qui attirent et réorientent l’attention vers des signaux qui sont saillants physiquement dans notre environnement (un bruit strident, une couleur vive, un mouvement soudain, …) ou vers des stimuli qui procurent une sensation de récompense. Ce qui contrebalance ces deux systèmes distractifs, c’est ce que nous avons choisi de faire, c’est notre intention claire de faire ce que nous avons à faire.
Selon Jean-Philippe Lachaux, l’équilibre attentionnel peut être comparé à la recherche de l’équilibre lors de la marche sur une poutre. Tout au long du trajet, nous ressentons des forces qui peuvent nous déséquilibrer : nous gardons notre équilibre grâce à des petites corrections successives.
A quoi sert l’attention ?
Dans le flux incessant des informations qui nous entourent, l’attention sélectionne une information et lui permet d’être traitée dans le cerveau. Elle est constamment à l’œuvre dans notre vie de tous les jours. Elle est centrale dans nos apprentissages, mais aussi dans nos perceptions, notre comportement, nos gestes et nos interactions avec autrui. Elle est à la base de notre connaissance du monde et de nos expériences ; elle nous permet aussi de prendre conscience de nos pensées et de nos sentiments.
Avec ou sans attention, toute notre relation au monde et à nous-mêmes est changée.
Peut-on faire attention à plusieurs tâches à la fois ?
Nous ne pouvons pas faire attention à plusieurs tâches à la fois. L’attention agit comme un goulot d’étranglement. Essayer de faire attention à plusieurs tâches à la fois a pour conséquence d’augmenter le risque d’erreurs et le temps passé à leur exécution. Pourtant, dans la vie quotidienne, nous faisons plusieurs choses à la fois : les automatismes dus aux apprentissages nous permettent de les faire sans y « faire attention ».
Y a-t-il une région dédiée à l’attention dans notre cerveau ?
Non. Faire attention c’est sélectionner et privilégier l’activation d’un réseau de neurones parmi d’autres (des neurones de la perception, de la mémoire de travail, de la motricité, …) pour en renforcer et en stabiliser l’activité. L’attention décide de la prise en compte, ou non, d’une information par le cortex préfrontal, « chef d’orchestre » des fonctions cognitives de haut niveau.
Paroles de scientifiques :
Deux petites mises en situation pour réfléchir aux limites de l’attention :
Un tour de magie en couleurs
« Rien ne m’échappe », entend-on dire souvent… Quelles sont nos performances en attention ? Un simple tour de cartes donne un début de réponse.
Anne et Katia, deux collègues de La main à la pâte, vous proposent une petite mise en situation qui va vous permettre de réfléchir à des limites de notre attention...
Cette petite activité, que vous pouvez même montrer dans vos classes, permet de prendre conscience du fait que notre attention est limitée et qu’il nous est difficile, voire impossible, de la focaliser simultanément sur plusieurs tâches. Résultat : nous pouvons être surpris de découvrir que nous ne voyons pas tout ce qui a lieu devant nos yeux.
Nous avons des attentes et nous nous faisons des idées sur notre fonctionnement cognitif, mais elles ne sont pas nécessairement toujours correctes. Les sciences cognitives nous permettent de nous faire une vision plus objective du fonctionnement de la cognition.
Pour en savoir plus
Pour en savoir plus sur l’attention et ses mécanismes, rendez-vous donc dans notre éclairage scientifique sur l’attention élaboré avec l’aide de Jean-Philippe Lachaux, neurobiologiste, directeur de recherche CNRS, Laboratoire dynamique cérébrale et cognition, Université de Lyon. Vous pourrez aussi écouter Jean-Philippe Lachaux dans un entretien sur ce thème.
Remerciements
Merci à Richard Wiseman, pour sa vidéo en anglais qui a inspiré cette mise en situation. Merci de nous avoir autorisés à l’adapter.
L'effet Stroop
C’est un jeu. Mais c’est une expérience… Elle connue en tant que l’« effet Stroop », du nom du psychologue qui l’a introduite pendant les années 1930. A vous de jouer.
Etape 1
Suivez attentivement les instructions qui vous sont fournies dans la vidéo et préparez-vous à des surprises.
Etape 2 - L’effet Stroop
Cette expérience met en évidence certaines limites de notre attention, notamment la difficulté de gérer une tâche — même simple — lorsque notre cerveau s’est engagé dans une autre.
L’effet Stroop est considéré un cas exemplaire de conflit entre deux tâches concourantes (lire les mots tout en nommant les couleurs). Ce qui nous frappe dans cette petite expérience est que nous lisons les mots sans le vouloir : sans nous en rendre compte, nous nous mettons donc dans une situation de « double tâche » qui est nuisible pour nos performances. Cette petite activité nous permet donc de prendre conscience de deux aspects de notre fonctionnement cognitif,
- Les situations de double tâche représentent un risque pour nos performances : nous devenons moins rapides et moins précis ;
- Les situations de double tâche sont plus fréquentes de ce que nous l’imaginons. Un enfant qui n’aurait pas automatisé une tâche et serait amené à en mener une autre en même temps (déchiffrer des mots et en même temps interpréter un texte ; s’habiller et écouter des consignes) pourrait donc se trouver en difficulté, même si chaque tâche prise individuellement est à sa portée.
Pour en savoir plus...
Pour en savoir plus sur l’attention et ses mécanismes, rendez-vous donc dans notre éclairage scientifique sur l’attention élaboré avec l’aide de Jean-Philippe Lachaux, neurobiologiste, directeur de recherche CNRS, Laboratoire dynamique cérébrale et cognition, Université de Lyon. Vous pourrez aussi écouter Jean-Philippe Lachaux dans un entretien sur ce thème.
Idées reçues (mais fausses) sur l’attention :
La "Brain gym" aide-t-elle réellement les élèves à se concentrer ?
La Brain Gym®, créée par le couple d’éducateurs Paul et Gail Dennison, comprend 26 exercices qui favoriseraient la concentration, la mémoire, les compétences académiques, ou encore les capacités organisatrices1. Elle a d’abord été développée pour une utilisation en classe. Présente dans 87 pays, la Brain Gym® est relativement répandue en Grande-Bretagne : 82 % des enseignants anglais disent y avoir été confrontés dans leur école2, et 55 % l’ont utilisée ou l’utilisent toujours3. Sa pratique est valorisée sur des sites australiens officiels servant de ressource aux éducateurs4. En France, où la Brain Gym® est aussi connue sous le nom de kinésiologie éducative (voir par exemple ici), il existe des formations (payantes) et des accompagnateurs sont présents5, mais des chiffres précis sont plus difficiles à obtenir.
Si elle est fortement diffusée, la Brain Gym® ne s’appuie pas sur des fondements théoriques solides. De plus, les quelques études indépendantes ayant concrètement testé ses effets sur les capacités cognitives et les apprentissages n’ont pas prouvé son efficacité.
L’efficacité empirique de la Brain Gym®
64 % des études sur l’efficacité de la Brain Gym® sont publiées dans le journal ou le magazine Brain Gym®, non soumis à une relecture critique par des scientifiques (6).
Pour les Dennison, cette validation n’est pas perçue comme une condition nécessaire pour tester les programmes implémentés dans les écoles (7). Les témoignages, les anecdotes ou les recherches descriptives sur quelques cas sont privilégiées. Cependant, ces méthodes d’évaluation ne permettent pas de mesurer précisément l’efficacité du programme, et de tester si les mêmes effets se remarquent chez des individus placés dans les mêmes conditions (c’est l’aspect reproductible de la recherche scientifique).
Quelques études expérimentales sur l’efficacité la Brain Gym® ont été publiées dans des revues à comité de lecture. Globalement, la qualité scientifique des cinq recherches publiées avant 2007 a été critiquée. Par exemple, on ne peut savoir si les groupes comparés (suivant ou non le programme) ont des caractéristiques équivalentes, si les enseignants ont implémenté la méthode à l’identique, des statistiques manquaient et des facteurs comme l’âge n’ont pas été systématiquement contrôlés. Dans un cas, l’auteur était lui-même un des quatre participants testés6,8,9. Une recherche récente, parue en 2014, s’intéresse à l’engagement académique de trois enfants de 7 et 9 ans ayant des troubles du développement8. Cette mesure nous semble proche de ce qu’on pourrait communément appeler concentration : il s’agit d’être bien assis, de regarder le professeur ou le matériel, de répondre aux sollicitations. Pour chaque enfant, commencer la journée par 10 minutes de marche ou de Brain Gym® n’apportait pas d’amélioration significative par rapport à une activité au choix de même durée. D’autres études, sur de plus grands groupes d’enfants, avec ou sans troubles du développement, semblent nécessaires. De plus, nous pouvons confronter les principes théoriques de base de la Brain Gym® à ce que nous connaissons du fonctionnement du cerveau.
Pour en savoir plus sur les méthodes permettant d’évaluer une intervention, en médecine comme en éducation, on pourra se référer au blog du médecin anglais Ben Goldacre, qui a, à plusieurs reprises, commenté le manque de preuves qui entoure la diffusion de la méthode Brain Gym® au Royaume-Uni.
Pour reprendre un exemple inspiré des témoignages publiés dans le journal Brain Gym® : imaginons que j’aille, en tant que bénévole, dans un orphelinat en Inde, et que je montre aux enfants quelques exercices de Brain Gym : je leur fais boire un verre d’eau, et je leur demande de croiser les bras, ou de stimuler certains points sur leur corps. Au bout d’un certain temps, je vois que les enfants sont contents, plus attentifs, ouverts et en meilleure santé. Je peux penser que la Brain Gym® a vraiment un effet bénéfique sur eux, et vanter ses mérites. Mais est-ce que ce programme serait plus efficace qu’une simple prise de contact sans exercice ? Ou que des activités physiques typiques, c’est-à-dire non labellisées « Brain Gym® » ? Pour répondre à cette question, il faudrait comparer plusieurs groupes d’enfants au sein de l’orphelinat, certains faisant de la Brain Gym, d’autres de la gym traditionnelle, et d’autres ne faisant aucun programme spécial. En cas d’effet positif de la Brain Gym® par rapport aux deux autres situations, il faudrait également tester si les résultats se généralisent à plusieurs groupes d’enfants, placés en orphelinat ou non.
Les principes théoriques de la Brain Gym®
D’après ses fondateurs, la Brain Gym® permet de coordonner différentes parties du cerveau, suivant trois grandes dimensions9 :
1. La latéralité
Elle est interprétée comme la coordination entre l’hémisphère cérébral droit (contrôlant la partie gauche du corps) et l’hémisphère gauche (contrôlant la partie droite du corps). Les exercices proposent d’activer des systèmes sensoriels et musculaires opposés, par exemple, en plaçant le coude droit sur le genou gauche, et inversement. Pour les partisans de la Brain Gym®, cela aurait pour effet de stimuler en même temps nos deux hémisphères, et de coordonner leur fonctionnement. L’idée de « latéralité » fait écho au mythe du « cerveau droit » et « cerveau gauche »11-14, suggérant qu’un hémisphère peut en « dominer » un autre, et que leurs connexions peuvent être « déséquilibrées ».

Vues des connections au sein du cerveau et du corps calleux, qui fait la jonction entre les deux hémisphères
Notons d’abord que les deux hémisphères ne fonctionnent pas indépendamment : ils sont reliés par le corps calleux, soit 200 millions de fibres nerveuses10, et la réalisation de tâches complexes implique la circulation de l’information entre de nombreuses aires cérébrales, situées à droite, comme à gauche.
Il a cependant été montré que certaines spécialisations existaient, l’hémisphère droit étant principalement sollicité pour le raisonnement spatial, et l’hémisphère gauche pour le langage. De telles spécificités ont été en premier lieu étudiées chez des individus dont le corps calleux avait été sectionné (pour éviter la propagation de crises épileptiques). Une telle indépendance entre les deux hémisphères est exceptionnelle. Pour prendre un exemple très simple : pour nous orienter dans l’espace, nous avons besoin de voir ce qui se passe dans notre champ visuel gauche et droit, ce qui mobilise donc de base les deux hémisphères cérébraux. Chez les individus au corps calleux sectionné, les informations du champ visuel gauche (traitées par l’hémisphère droit) ne pouvaient être communiquées à l’hémisphère gauche, causant par exemple des difficultés pour nommer les objets : les individus qualifiés de « cerveau droit » ont-ils cette difficulté ?

An evaluation of the left-brain vs. right-brain hypothesis with resting state functional connectivity magnetic resonance imaging
De plus, la spécialisation de certaines aires cérébrales est étudiée de façon statistique : on peut dire que, chez la majorité des droitiers, des zones fondamentales pour la compréhension et la production du langage se situent dans l’hémisphère gauche. Cela ne veut pas non plus dire que ces zones sont nécessaires et suffisantes. Lorsqu’une aire assurant une fonction donnée est endommagée, il est possible que d’autres prennent par la suite sa fonction : c’est le phénomène de plasticité cérébrale. Enfin, une étude récente d’imagerie cérébrale a montré que l’activation préférentielle d’un hémisphère ou de l’autre pour réaliser certaines tâches était un phénomène local, et non global. Ainsi, on ne pourrait dire qu’une personne a une dominance cérébrale générale à gauche ou à droite15.
2. La focalisation
C’est une autre dimension importante dans la théorie Brain Gym®. Liée à l’attention, la focalisation concernerait la coordination entre l’avant et l’arrière du cerveau. Elle serait établie par des exercices posturaux et des mouvements du corps vers l’avant ou l’arrière. Les études en sciences cognitives montrent que l’attention est une fonction complexe, impliquant, selon le type de tâche à effectuer, l’activation du cortex frontal (à l’ « avant » du cerveau), du cortex pariétal (« à l’arrière du cerveau ») et du thalamus (au « centre » du cerveau, entre le cortex et le tronc cérébral) – voir le schéma placé à la fin de l’article. Plusieurs types d’attention ont été distingués dans la littérature, impliquant des réseaux cérébraux différents, coordonnés avec d’autres fonctions, telles que la vue ou le mouvement16.

Cependant, on ne peut supposer une symétrie entre corps et cerveau, dans le sens où des mouvements « vers l’avant » ou « vers l’arrière » impliqueraient des aires cérébrales situées davantage à l’avant ou à l’arrière du cerveau17. Afin de réaliser des mouvements volontaires, nous avons recours au cortex moteur (cf schéma), aux ganglions de la base (situés, grossièrement, autour du thalamus), au cervelet et à la moelle épinière. Ces zones ne se superposent pas à celles de l’attention. Un mouvement d’avant en arrière ne « balayera » pas symétriquement les zones cérébrales du mouvement de l’avant vers l’arrière, et encore moins les réseaux attentionnels frontaux et pariétaux.
3. Le centrage
C’est la troisième dimension référencée dans la méthode Brain Gym®. Elle consisterait en la coordination des parties hautes et basses du cerveau, permettant d’équilibrer la raison et les émotions. Les activités proposées sont des exercices dits « énergétiques », et l’adoption d’ « attitudes d’approfondissements ». Les recherches en neurosciences montrent que la localisation cérébrale de la « raison » et des « émotions » est complexe. Plusieurs émotions primaires (dégoût, peur, colère) sont traitées dans le système limbique, un ensemble de structures situées très grossièrement à proximité du thalamus et de l’hypothalamus. Le cortex préfrontal est connu pour son rôle dans la planification, l’inhibition et la régulation émotionnelle. Il semble particulièrement important pour la réalisation de conduites réflexives, mais son assimilation à un « siège de la raison » est une extrapolation. En effet, des réseaux complexes existent au sein de notre cortex cérébral, et il n’existe pas de dichotomie clairement tranchée entre raison et émotions : il existe des émotions dites complexes, qui impliquent la prise en compte de jugements sur soi ou autrui (donc des formes de « raisonnement »), et des prises de décision qui bénéficient de l’influence des émotions. Cela se traduit par des communications entre le cortex frontal et le système limbique.

On peut aussi remarquer que ces deux zones ne sont pas particulièrement tout « en haut » ou « en bas » du cerveau (à titre d’exemple, le lobe occipital est situé à l’opposé du cortex préfrontal, et il est impliqué dans la vision). On notera également que plusieurs exercices de « centrage » suggèrent une symétrie entre corps et cerveau. Or, comme nous l’avons vu précédemment, ce n’est pas parce que l’on touchera une zone inférieure de notre corps que l’on activera des aires cérébrales situées dans les parties basses de notre cerveau.
Conclusion
L’efficacité de la Brain Gym® n’a pas été validée par des expériences rigoureusement conduites. Ses principes mêmes vont à l’encontre de certaines connaissances dont nous disposons sur le cerveau. Plusieurs chercheurs mettent en garde contre la diffusion de la Brain Gym®, qui pourrait entraîner la propagation d’idées fausses sur le fonctionnement du cerveau2,4,6,9,12,13,17.
Les enseignants disposant de ressources temporelles et financières limitées, il semble particulièrement important de s’investir dans des démarches dont l’efficacité est plus prometteuse.
Article rédigé par Jessica Massonnié – Production pour la validation du cours de Master 2 Education, Cognition, Cerveau – Master de sciences cognitives (CogMaster), Ecole normale supérieure, Paris 2015-2016. https://sites.google.com/site/jessicamassonnie/
Ressources
Concernant l’anatomie et le fonctionnement du cerveau, nous vous recommandons :
Le site Internet « Le cerveau à tous les niveaux », de l’Université Mc Gill.
Carter, R., Petit, L., & Frith, C. D. (2010). Le grand Larousse du cerveau. Larousse.
Sur les rapports entre recherche et éducation :
Tardif, E. & Doudin, P.A. (2010). Neurosciences, neuromythes et sciences de l’éducation. Prismes, 12, 11-14.
OECD (2002). Dissiper les neuromythes. In: OECD, Comprendre le cerveau: Naissance d’une science de l’apprentissage. Paris: OECD.
Bibliographie
(1) Brain Gym® International. (2015). What is « Brain Gym ? ». En ligne http://www.braingym.org/about
(2) Dekker, S., Lee, N. C., Howard-Jones, P., & Jolles, J. (2012). Neuromyths in education: Prevalence and predictors of misconceptions among teachers. Frontiers in psychology, 3(429), 1-8. Doi : 10.3389/fpsyg.2012.00429
(3) Simmonds Anna. (2014). How neuroscience is affecting education : report of teacher and parent surveys. Welcome Trust. Repéré à : http://www.wellcome.ac.uk/about-us/publications/reports/education/wtp055246.htm
(4) Stephenson, J. (2009). Best practice? Advice provided to teachers about the use of Brain Gym® in Australian schools. Australian Journal of Education, 53(2), 109-124. Doi : 10.1177/000494410905300202
(5) Brain Gym France (2015). En ligne http://www.braingym.fr/
(6) Spaulding, L. S., Mostert, M. P., & Beam, A. P. (2010). Is Brain Gym® an effective educational intervention? Exceptionality, 18(1), 18-30. Doi: 10.1080/09362830903462508
(7) Brain Gym® International. (2015). Brain Gym Studies. En ligne http://www.braingym.org/studies
(8) Watson, A., & Kelso, G. L. (2014). The Effect of Brain Gym® on Academic Engagement for Children with Developmental Disabilities. International Journal of Special Education, 29(2), 75-83.
(9) Hyatt, K. J. (2007). Brain gym® building stronger brains or wishful thinking ? Remedial and special education, 28(2), 117-124. Doi: 10.1177/07419325070280020201
(10) Tardif, E. & Doudin, P.A. (2010). Neurosciences, neuromythes et sciences de l’éducation. Prismes, 12, 11-14.
(11) Organisation de coopération et de développement économiques. (2007). Comprendre le cerveau : naissance d’une science de l’apprentissage. Doi : 10.1787/9789264029156-fr. En ligne : http://www.keepeek.com/Digital-Asset-Management/oecd/education/comprendre-le-cerveau-naissance-d-une-science-de-l-apprentissage_9789264029156-fr#page3
(12) Howard-Jones, P. (2014). Neuroscience and education : myths and messages. Nature Reviews Neuroscience, 15, 817-824. Doi : 10.1038/nrn3817
(13) Pasquinelli, E. (2012). Neuromyths: why do they exist and persist ? Mind, Brain, and Education, 6(2), 89-96. Doi: 10.1111/j.1751-228X.2012.01141.x
(14) Worden, J., Hinton, C. & Fischer, K. (2011). What does the brain have to do with learning ? Phi Delta Kappan, 92(8), 8-13.
(15) Nielsen, J. A., Zielinski, B. A., Ferguson, M. A., Lainhart, J. E., & Anderson, J. S. (2013). An evaluation of the left-brain vs. right-brain hypothesis with resting state functional connectivity magnetic resonance imaging. PloS one, 8(8), e71275.
(16) Azouvi, P., Couillet, J., Leclercq, M., & Moroni, C. (2002). La neuropsychologie de l’attention. Groupe de Boeck.
(17) Sense about science. (2008). Sense about Brain Gym®. En ligne : http://www.senseaboutscience.org/resources.php/55/sense-about-brain-gym
L'attention d'un poisson rouge ?
Sous le titre : « Moins de concentration que les poissons rouges à cause des écrans », Franceinfo dédie en mai 2015 une émission à notre capacité à rester concentré. Les enseignants se posent beaucoup cette question, qui a des conséquences importantes sur leurs pratiques. On entend en effet de plus en plus que, puisque les élèves ont moins de capacité d’attention que par le passé, il est devenu impossible de leur proposer des textes longs et complexes à lire, voire de leur demander de regarder une “longue” vidéo qui durerait plus de 10 minutes ! Il est clair que ce n’est pas qu’un problème qu’on attribue aux enfants, car même pour des adultes, on s’efforce maintenant de produire des vidéos très courtes et rythmées sous prétexte que l’attention est limitée… La question de la réduction des capacités attentionnelles est utilisée pour justifier des choix, aussi bien en pédagogie qu’en communication, qui baissent le niveau d’exigence et de complexité des contenus proposés. Est-ce une bonne justification?
Il semble important de chercher à en savoir plus… Et d’en profiter pour affiner notre esprit critique face à l’information.
De quoi parle-t-on ?
Nous lisons sur Franceinfo : « 8 secondes au lieu de 12 secondes. Ce serait la capacité de concentration moyenne de l’être humain aujourd’hui par rapport au début des années 2000. […] Tenez-vous bien : c’est moins que le poisson rouge qui, lui, peut rester concentré pendant 9 secondes ! »
Nous nous trouvons ici confrontés à des affirmations très précises sur des mesures de temps.
Mais savons-nous comment on établit le temps de concentration ? Et si ce temps de concentration correspond à ce que nous demandons à nos élèves ou à nous-mêmes lorsqu’il s’agit de lire un texte, écouter quelqu’un qui explique, regarder un film, chercher à identifier un oiseau dans un bois ?
En effet, il existe plusieurs types d’attention, sous la responsabilité de différents réseaux de neurones. L’attention est une fonction dynamique : elle peut être focalisée, attirée ailleurs, être re-focalisée en raison de la tâche et du contexte… Il est donc impossible de dire que la durée maximale de l’attention est supérieure ou inférieure à une certaine limite.
La durée maximale de l’attention est un concept à géométrie variable : on peut entendre par là la durée de la réponse à un stimulus qui attire notre attention (une durée très courte), ou le temps qu’on est disposé à passer sur une tâche de manière soutenue et sélective, ou encore le temps pendant lequel on arrive à résister à des distractions et à se focaliser. La nature de la tâche et sa difficulté, notre motivation, la présence de distractions, entre autres, influencent notre capacité à rester focalisés sur une tâche le temps de la mener à bien.
Pour ces raisons, on ne trouve pas dans la littérature scientifique sur l’attention de références à une quelconque « durée maximale attentionnelle moyenne » relative à un individu ou à un groupe d’individus.
D’où vient l’info ?
Franceinfo n’est qu’un maillon dans la chaîne de transmission de cette infox. Si vous faites un tour du web, vous allez vite voir se multiplier le nombre de pages Internet, y compris les pages de grands médias, qui relatent la même information. La plupart citent, sans mettre de lien direct à la source, un rapport produit en 2015 par une branche canadienne de Microsoft. On pourra lire sur ces différentes pages que les “chercheurs” de Microsoft Canada ont interrogé 2000 personnes et “étudié le cerveau” de 112 volontaires — certains médias vous préciseront qu’il s’agit d’études qui utilisent l’EEG (électroencéphalographe : dispositif permettant d’enregistrer l’activité cérébrale en mesurant des différences de potentiel au niveau du crâne). On ne vous expliquera pas ni ce que l’on a mesuré, ni ce qui a été demandé aux 2000 interviewés. On ne dispose donc d’aucun élément, ni pour comprendre les conclusions des “chercheurs” de Microsoft, ni pour comprendre l’interprétation de ces conclusions par les médias.
En lisant le rapport de Microsoft, on s’aperçoit qu’il n’est pas signé, ce qui rend impossible de vérifier le crédit scientifique des auteurs. Il n’a pas fait l’objet d’une publication avec évaluation par les pairs. Cette évaluation aurait permis le contrôle — par des experts — du respect de critères de rigueur dans la méthodologie adoptée et par conséquent la fiabilité des résultats.
Examinons nous-mêmes ce rapport. Il décrit de manière assez sommaire la méthodologie adoptée. Nous découvrons que l’idée de réduction de la durée maximale de l’attention entre 2000 et 2015 provient en réalité d’une autre source, Statistic brain. Une visite sur ce site web permet de constater qu’il s’agit d’un service commercial de production d’analyses statistiques. Le graphique concernant la durée maximale de l’attention n’a pas fait pas l’objet d’une publication scientifique, n’est pas signé et il est impossible de savoir comment le résultat statistique présenté est produit : à partir de quelle base de données, concernant quels sujets, à quel moment, dans quelles conditions.
Le sous-titre de l’article de Franceinfo est : “On entend dire parfois que les technologies réduiraient nos capacités de concentration. Ce phénomène est aujourd’hui confirmé par une étude”. A ceci, nous pouvons objecter que bien que l’idée d’une baisse de nos capacités attentionnelles en quinze ans puisse nous paraître intuitivement recevable, l’étude citée n’est pas suffisamment fiable. Un titre comme « Moins de concentration que les poissons rouges à cause des écrans” sonne vrai mais il ne fait que nous conforter dans un préjugé.
Nous pouvons aussi constater les risques d’une certaine forme de circulation de l’information : des blogs qui citent des blogs, qui citent des rapports, qui citent des sites. Et au bout de la chaîne, des statistiques dont on ne connaît pas l’origine, mais qui nous inspirent confiance en raison de leur aspect apparemment rigoureux.
Ce tissu dense d’information rend difficile de remonter aux sources et la multiplication des pages comportant la même affirmation nous conforte dans la pensée qu’elle doit être correcte. Nous oublions ou nous ignorons que les pages ne se multiplient pas indépendamment les unes des autres — comme si plusieurs observateurs étaient témoins d’un même événement. Au contraire, la multiplication qui a lieu sur la toile est le produit d’un passe-parole où le message est transmis d’une source à une autre. Ce phénomène a un double effet : la source originale disparaît au milieu de ses consoeurs, et son contenu se modifie et se dégrade progressivement.
Considérations finales pour notre esprit critique
Des affirmations comme “nos enfants ont l’attention d’un poisson rouge” risquent d’amener à des conséquences pratiques indésirables. Par exemple, elles peuvent provoquer une simplification abusive des contenus et faire baisser excessivement nos exigences.
Nous entendons répéter : « Les enfants d’aujourd’hui n’ont plus l’attention que l’on avait, à notre époque ».
Etablir si notre capacité d’attention a changé —par exemple depuis l’arrivée des écrans — demande du recul. Il faut en effet avoir des données non seulement sur l’état actuel des capacités attentionnelles, mais aussi sur leur état dans le passé. Estimer l’attention de nos élèves ou nos enfants à l’aune de nos souvenirs d’enfance n’est pas pertinent, pour au moins deux raisons. Premièrement, rien ne nous garantit que nos souvenirs sont fidèles. En outre, le contexte social et scolaire a beaucoup changé depuis notre enfance. Pour les mêmes raisons, il est impossible de comparer notre attention d’enfant à celle que nous avons aujourd’hui.
Cependant, l’idée que l’attention se soit réduite à quelques secondes n’est pas vraiment plausible. Nous constatons que nous sommes capables, ainsi que nos enfants, de lire un livre, pourvu qu’on en ait la motivation !
Posons nous encore quelques questions.
Que savons-nous de l’attention et des études scientifiques à son sujet ? Si la réponse est : « peu de choses », nous risquons d’être victimes de nos propres préjugés. L’information nous paraît plus ou moins convaincante selon qu’elle conforte ou contredit nos préjugés. Que savons-nous réellement des données traitées dans des études qui aboutissent à un titre d’émission aguicheur ? Quand nous ne pouvons pas accéder à ces informations, nous gagnons à être prudents et à ne pas relayer des affirmations de façon péremptoire. Une lecture hâtive risque de nous faire oublier nos outils de vigilance et de filtrage de l’information pour nous forger une opinion bien étayée.
Voilà qu’une information qui avait capté notre attention (à juste titre, car en plus elle est rapportée par un media de confiance comme Franceinfo) et qui avait pu nous paraître convaincante, ne donne en réalité pas assez de garanties de fiabilité à la lumière du contenu et des sources originales.
Conclusion
L’idée que nous nous faisons du fonctionnement de notre perception et de notre attention ne correspond pas à la réalité. Pour notre cerveau, voir une scène n’équivaut pas à en prendre une photo. Mais nous avons du mal à croire à nos limites cognitives.
PS : Franceinfo, la prochaine fois, un effort de plus pour nous aider à y voir plus clair ! Nous comptons sur vous et avons besoin de vous !
Article rédigé par Elena Pasquinelli, avril 2019
Références
Lachaux, J. P. (2016). Les Petites bulles de l’attention: Se concentrer dans un monde de distractions. Odile Jacob.
Lachaux, J. P. (2015). Le Cerveau funambule: Comprendre et apprivoiser son attention grâce aux neurosciences. Odile Jacob.
Lachaux, J. P. (2011). Le cerveau attentif: contrôle, maîtrise et lâcher-prise. Odile Jacob.
Chokron, S. (2009). Pourquoi et comment fait-on attention?.
AAVV (2018). Attention. in: M. Gazzaniga, R. Ivry, G. Mangue. Cognitive neuroscience: the biology of the mind. Norton & Co.
Posner, M. I. (1995). Attention in cognitive neuroscience: an overview.
Posner, M. I. (Ed.). (2011). Cognitive neuroscience of attention. Guilford Press.
Peut-on faire (attention à) plusieurs choses à la fois ?
C’est une évidence : il nous est possible de faire plusieurs choses en même temps. Marcher et écouter une émission en podcast, par exemple ; ou parler au téléphone, tapoter sur un clavier, jeter un coup d’œil à la casserole sur le feu… Notre cerveau mène constamment plusieurs activités en parallèle, sans que nous nous en apercevions. Cela arrive la plupart du temps « en dehors de la conscience » : en marchant, nous ne sommes pas conscients des différents mouvements de nos jambes ou du reste de notre corps, de notre posture et des jeux de contraction et de décontraction des différents muscles. Simultanément, notre cerveau régule l’homéostasie du corps, la respiration, les battements du cœur, intègre les informations en provenance de plusieurs modalités sensorielles. Une fois que nous avons appris à marcher, qu’un chemin nous est devenu familier, nous nous laissons porter par notre « pilote automatique » et ne le désactivons qu’en présence d’un changement imprévu, d’une décision volontaire de changer de chemin.
Nous faisons plusieurs choses en même temps mais… nous ne sommes pas multitâches
Quand le « pilote automatique » est en marche, nous pouvons écouter une émission de radio — dont nous allons décoder les sons et les mots encore une fois en pilote automatique — et réserver toute notre attention à en comprendre le sens. Nous pouvons donc mener plusieurs tâches simultanément lorsque le contrôle sur ces tâches est largement automatisé.
Dans le cas de la triple tâche communiquer-écrire-cuisiner, aucun des aspects significatifs de ces trois actions n’est automatisé et toutes requièrent, d’une manière ou d’une autre, notre attention. Que fait donc notre cerveau ? Il jongle. Il met une tâche en attente pendant qu’il se concentre sur l’autre. Puis il y revient. Ceci mobilise de manière importante non seulement notre attention mais également notre mémoire — notamment la mémoire à court terme, qui garde les informations le temps nécessaire pour poursuivre un but.
Ce que nous prenons pour du « multitâche » — parce que cela correspond à ce que nous pouvons observer de l’extérieur — revient, pour le cerveau, à traiter une partie des tâches de manière automatisée, ou bien à jongler rapidement d’une tâche à une autre. Le terme « multitasking » ne relève d’ailleurs pas du vocabulaire du psychologue, mais de celui de l’ingénieur (et indique la capacité d’un microprocesseur à mener plusieurs tâches de manière simultanée).
Le problème est dans l’attention
En psychologie, bien que les processus et mécanismes de l’attention restent encore en partie inexpliqués, il est généralement accepté que l’attention est limitée.
Ces limites se révèlent notamment par la multiplication des erreurs commises et par l’augmentation du temps employé lorsque nous nous sommes mis en présence de plusieurs tâches à mener — comparativement au succès et au temps nécessaire pour accomplir une seule de ces tâches à la fois (ceci est vrai si les tâches sont présentées simultanément — situation de double tâche à proprement parler — aussi bien que si elles sont présentées rapidement l’une après l’autre — une situation appelée « changement de tâche » ou « task switch« . La « double tâche » comme le « changement de tâche » sont des situations communément utilisées pour étudier les limites et les caractéristiques de l’attention.)
Nous ne sommes pas nécessairement conscients du fait que mener plusieurs activités en même temps peut nous mettre en difficulté (sauf si les tâches sont physiquement incompatibles ou très demandeuses en termes cognitifs). La preuve : de nombreuses personnes conduisent tout en parlant au téléphone et pensent que le seul problème réside dans le fait d’avoir les mains occupées. Et pourtant, même avec des « kits mains-libres », les limites attentionnelles restent les mêmes.
En réalité, les types de tâches qui, menées simultanément, mettent en échec notre cerveau, sont bien plus nombreux que ce à quoi nous pourrions nous attendre.
Plusieurs dispositifs ont été produits qui permettent de « tester » la difficulté de prêter attention à plusieurs événements ou objets simultanément, ainsi que de mettre en évidence le fait que des événements ou objets inattendus peuvent passer totalement inaperçus. Notre système visuel, de même que les autres modalités sensorielles, ne fonctionne pas comme un appareil qui enregistre passivement ce qui se passe autour, voire devant nous. Une sélection est opérée, et cette sélection s’identifie avec la focalisation de notre attention.
Dans une pièce, au décor très britannique, un meurtre a été commis ; le cadavre est encore au milieu de la pièce. Le détective interroge à tour de rôle les suspects et le meurtrier est révélé. Et vous, êtes-vous un bon détective ?
Pendant que la scène se déroule sous vos yeux, 21 détails de la scène, cachés par les mouvements de caméra, sont modifiés les uns après les autres : la victime change d’habits ; à une armure décorative, on substitue un ours empaillé… Pensez-vous que vous les auriez remarqués ? Ce petit exercice démonstratif fait partie d’un ensemble de vidéos que la ville de Londres a diffusé dans ses cinémas et à travers son site Web en 2008. Le but était d’alerter la population des conducteurs de voitures, confrontée à une augmentation importante du nombre de cyclistes dans les rues de la ville, sur les limites de notre perception et de notre attention.
Il nous arrive d’ignorer nos limites : le rôle de la science est alors celui de nous les révéler grâce à ses méthodes d’observation
Il est tout à fait possible que quelque chose se passe ou passe droit devant nous, sans que nous en soyons conscients. Nous sommes cependant nombreux à ne pas le croire. À en juger par les réponses au questionnaire soumis par les psychologues cognitifs américains Christopher Chabris et Daniel Simons à 1838 sujets américains, les trois quarts de l’échantillon testé semblent partager une vision “optimiste” de nos capacités perceptives et d’attention !
Les chercheurs Christopher Chabris et Daniel Simons ont créé l’une des démonstrations les plus élégantes d’un phénomène connu sous le nom de « cécité d’inattention ». Pour le dire en termes moins techniques : « on peut ne pas voir ce qu’on ne s’attend pas à voir parce qu’on n’y fait pas attention, même si cela se passe sous notre nez ».
La démonstration consiste en une courte vidéo — son succès est tel qu’il en existe désormais plusieurs versions. Lorsqu’on projette cette fameuse vidéo, on demande aux participants de se concentrer : ils verront apparaître à l’écran des joueurs et un ballon ; la moitié des joueurs est habillée en blanc, l’autre moitié en noir ; les joueurs se font des passes ; il faut compter les passes entre les joueurs habillés en blanc, et seulement les passes entre joueurs habillés en blanc.
ATTENTION SPOILER - Pendant que les joueurs se passent le ballon, un acteur déguisé en gorille entre en scène, s’arrête en plein milieu de la scène, se bat la poitrine, et sort doucement du côté opposé. Cet événement inattendu dure 5 secondes. Environ la moitié des spectateurs ne voit pas le gorille passer.
L’expérience de Chabris et Simons a été répliquée à maintes reprises, elle est utilisée en cours de psychologie, en formation et partout où on veut démontrer que l’attention est une ressource limitée, et que pour voir, il faut faire attention — il ne suffit pas de fixer les yeux quelque part. Il en existe plusieurs versions et variantes.
Mais, — on pourrait objecter — il s’agit au fond d’une vidéo, qui plus est arrangée par des psychologues… Se peut-il que l’on ne voie pas quelque chose qui se passe devant nous dans la vie réelle ? Les psychologues en ont encore une fois fait l’expérience. Nous sommes sur un campus universitaire. Une personne est en train de marcher. L’un des expérimentateurs la rejoint, une carte routière à la main, et lui demande des informations. Le contact visuel entre les deux personnes est maintenu pendant 10-15 secondes, puis survient un petit incident qui coupe ce contact. Deux autres expérimentateurs transportant une porte s’interposent entre eux. Le premier expérimentateur profite de cette diversion pour prendre la place de l’un des deux autres. Le piéton a maintenant à faire a un expérimentateur différent de son premier interlocuteur.
Cette mise en scène est répétée à plusieurs reprises avec des piétons différents. La moitié seulement des piétons déclare avoir remarqué le changement d’interlocuteur. Cette mise en scène est répétée à plusieurs reprises avec des piétons différents. La moitié seulement des piétons déclare avoir remarqué le changement d’interlocuteur.
Le magicien Derren Brown a mis en place ce même dispositif dans les rues de Londres — les magiciens sont friands d’études sur l’attention, la perception, la mémoire et devancent parfois les psychologues de manière empirique.
Les scientifiques qui étudient ces phénomènes ont inventé l’expression « cécité au changement » pour souligner que des détails de notre environnement peuvent passer inaperçus, et que certaines distractions peuvent détourner notre attention de ces détails. Lorsqu’un élément crucial pour la signification d’une scène est modifié, on détecte facilement le changement, mais si l’objet n’attire pas l’attention, le changement le concernant peut passer inaperçu.
Conclusion
L’idée que nous nous faisons du fonctionnement de notre perception et de notre attention ne correspond pas à la réalité. Pour notre cerveau, voir une scène n’équivaut pas à en prendre une photo. Mais nous avons du mal à croire à nos limites cognitives.
Article rédigé par Elena Pasquinelli, avril 2019
Références
Sur l’attention et ses limites :
Lachaux, J.P. (2011). Le cerveau attentif. Paris: Editions Odile Jacob.
Sur la cécité inattentionnelle et d’autres illusions concernant notre fonctionnement cognitif :
Simons, D. J. & Chabris, C. F. (2009). The invisible gorilla and other ways our intuitions deceive us. NY: Basic Books. Traduit en français par Le Pommier: Le gorille invisible (2015)
Sur la cécité inattentionnelle :
Simons, D. J. & Chabris, C. F. (1999). Gorillas in our midst: Sustained inattentional blindness for dynamic events. Perception, 28, 1059-1074.
Simons, D. J., & Levin, D. (1998). Failure to detect changes to people during a real-world interaction. Psychonomic Bulletin & Review, 5, 644-649
Simons, D. J., & Ambinder, M. S. (2005). Change blindness: Theory and consequences. Current Directions in Psychological Science, 14(1), 44–48
Simons, D. J. (2010). Monkeying around with the gorillas in our midst: Familiarity with an inattentional-blindness task does not improve the detection of unexpected events. Perception, 1, 3-6
Levin, D. T. & Angelone, B. L. (2008). The visual metacognition questionnaire: A measure of intuitions about vision. American journal of Psychology, 121, 451–472.
Sur la double tâche :
Pashler, H. (1998). The Psychology of Attention. Cambridge, MA: MIT Press. Sur le changement de tâche: Monsell, S. (2003). Task switching. Trends in Cognitive Sciences, 7(3): 134–140.
Voir aussi :
Inserm (2011). Expertise collective. Téléphone et sécurité routière. Paris: Editions de l’Inserm.