Note : la séquence proposée a eu lieu au sein d'une classe de 27 élèves (18 CE 2 et 9 CM 1), en ZEP rurale. Le maître a pu disposer de la contribution d'aides éducateurs pendant une partie du travail. Nous retrouvons à la séance 4, une analyse fine de la séquence de la part du maître.
La séquence s'est organisée en séances limitées de 45 minutes mais certains groupes ont réalisé des observations entre les séances.
Informations pratiques
Ténébrion (Tenebrio molitor ) : la larve est appelée communément ver de farine .
Où s'en procurer : dans les magasins de pêche au stade larvaire
Milieu d'élevage: Mélange de farine complète et de levure de boulanger en granules. Utiliser un récipient en verre avec une fermeture. (Laisser passer un peu d'air en permanence). Faire un abri (chiffons...) pour favoriser la ponte. Choisir un endroit sombre et tranquille. Température optimale: entre 25°C et 30 °C. Ces animaux n'ont besoin que de très peu d'eau.
Durée de développement: Entre 4 mois et plus d'un an, cela dépend de la température. Possibilité de ralentir le développement en mettant la culture au réfrigérateur (Ceci retarde le stade nymphal).Oeuf : incubation de 1 à 2 mois. Larve: 2 à 5 mois (On observera 6 à 19 mues pendant cette période). Nymphe: 10 à 20 jours. Adultes: 23 à 60 jours.
Comment les nourrir: Le milieu avec levure suffit. Pour un développement plus rapide, possibilité de rajouter carotte, pain, banane de temps en temps.
Comment les manipuler : Inoffensifs, ils ne posent aucun problème. Un tamis peut permettre de récupérer les larves, nymphes et oeufs facilement.
Comment s'en débarrasser : 24 heures au congélateur permettent de tuer oeufs, larves, nymphes et adultes.
Séance 1
Objectifs cognitifs:
Savoir qu'un être vivant a des caractéristiques et des besoins particuliers.
Objectifs méthodologiques:
Savoir observer le réel et en rendre compte par écrit.
Savoir formuler des questions.
Objectifs d'attitude:
Dépasser ses réactions spontanées (répulsion, agressivité) vis à vis d'êtres vivants inconnus et se poser des questions.
Echanger au sein d'un groupe : exprimer ses idées, écouter et respecter les idées des autres.
Démarche pédagogique
Situation de départ
La classe est organisée en groupe de 4 à 5 élèves. Le maître a distribué à chaque groupe des larves de ténébrion de même âge. Il y a eu peu de réactions de dégoût, et beaucoup d'enthousiasme. Le maître a proposé aux élèves d'écrire leurs observations et leurs questions.
Exemples de questions posées :
- "A quelle heure se couche-t-elle et se lève-t-elle ? "
- "Est-ce qu'elle retombe sur ses pattes ?"
- "Est-ce qu'elle éjecte du venin avec son petit derrière pointu ? "
- "Combien de temps peut-elle survivre sans manger ? "
- "Est-ce un mâle ou une femelle ? Un garçon ou une fille ?"
- "Est-ce qu'elle a une famille ?"
Mise en commun
Le maître retranscrit les questions des élèves et propose d'organiser cette première liste. Pour cela, l'enseignant aide les élèves à effectuer un premier tri (selon de grands thèmes comme l'alimentation ou la reproduction). Certaines questions sont alors reformulées et on aboutit à une deuxième liste de questions.
Exemples de questions posées :
- "Comment reconnaît-on les adultes des enfants ?"
- "Aime-t-elle la lumière ? "
- "Quel est son nom ? "
- "Dans quel pays vit-elle ? "
- "Comment se reproduit-elle ?"
- "Qu'est-ce qu'elle mange ?"
Organisation de la recherche
Le maître a sélectionné les questions pouvant donner lieu à une expérimentation réalisable en classe. Il propose de travailler dans un premier temps sur les questions portant sur le milieu de vie (température et lumière).
Séance 2
Objectifs méthodologiques:
Formuler des hypothèses.
Concevoir un protocole expérimental adapté (permettant de tester les hypothèses).
Objectifs d'attitude:
Remettre en questions ses idées.
Conduire une recherche sur un long terme
Aider un autre élève et accepter ses idées.
Déroulement
Phase collective : comment trouver des réponses à nos questions ?
Le maître rappelle les questions retenues et demande aux élèves par quels moyens ils vont pouvoir y répondre.
Certains élèves proposent de regarder dans un livre. D'autres proposent une expérimentation. Les propositions sont souvent maladroites et parfois irréalisables. Certaines propositions correspondent à des expériences "pour voir" sans lien avec une question précise.
Le maître décide d'organiser la classe en équipes de deux élèves qui travailleront sur une des questions (avec l'aide des aides-éducateurs).
Travail de groupe : émettre des hypothèses et élaborer une expérimentation
Chaque équipe a travaillé sur une des questions : "Aime-t-elle la chaleur ?", "Aime-t-elle la lumière ?"
Remarque : le maître a choisi de ne pas donner le nom de « la bête » afin d'éviter que les élèves ne trouvent des informations la concernant dans des documents.
Certains groupes avaient déjà une idée sur la question, d'autres non. Dans le premier cas, le maître a eu beaucoup de difficultés pour convaincre les élèves de la nécessité de vérifier.
Mot de La main à la pâte : Pour certains enfants, leurs affirmations leur sont si « vraies », qu'elles ne peuvent être considérées comme des hypothèses et ne nécessitent pas, à leurs yeux, d'être expérimentées.
Deux cas peuvent se présenter :
Soit, ils savent vraiment et ils ont l'impression de perdre leur temps, s'impatientent d'expérimenter pour répondre à leurs vraies questions. Un travail différencié par groupe peut réguler la situation. Permettre aux enfants d'émettre un choix sur la question à laquelle ils vont travailler, résout le problème.
Soit, ils sont dans l'erreur, alors il faudra que les comptes-rendus d'expériences d'autres élèves les déstabilisent lors de la communication des travaux de groupes.
Les synthèses de séances, après cette communication, permettent de faire le point sur les observations ou conclusions dont la classe est sûre, (qui prend alors le statut de savoir), et sur ce qui est contradictoire aux hypothèses initiales (ce qui nécessite de nouvelles investigations).
Séance 3
Objectifs méthodologiques:
Réaliser techniquement un protocole expérimental.
Observer et consigner des résultats.
Interpréter les résultats en relation avec le problème étudié.
Construire un compte-rendu de l'expérimentation.
Objectifs d'attitude:
Etre rigoureux (dans l'observation des comportements des animaux).
Avoir un regard critique sur son travail et accepter de recommencer.
Déroulement
Phase d'expérimentation
Rappel des questions posées :
- "Comment reconnaît-on les adultes des enfants ?"
- "Aime-t-elle la lumière ? "
- "Quel est son nom ? "
- "Dans quel pays vit-elle ? "
- "Comment se reproduit-elle ?"
- "Qu'est-ce qu'elle mange ?"
Par équipes de deux, les élèves réalisent les expériences ou recherches qu'ils ont prévues et notent les résultats obtenus, les renseignements trouvés.
Certaines expériences exigent des observations se déroulant sur plusieurs jours.
En raison d'événements inattendus (nymphose), les élèves n'ont pu observer les résultats prévus. Certains ont accepté de recommencer.
Exemples d'hypothèses faites par les élèves
Question 1 : "Aime-t-elle la chaleur ? "
Il n'y a pas vraiment d'hypothèse (à part "oui" ou "non") dans l'esprit des enfants. Il s'agit plutôt de "On ne sait pas, on va voir". Il s'agit d'une simple observation, la question est totalement ouverte. (En revanche, cette observation peut amener à formuler des hypothèses) .
Question 2 : "Aime-t-elle la lumière ?"
Réponse spontanée :"Elle a peur du soleil. La bestiole était dans ma main ; je l'ai mise au soleil, et elle est allée sous ma main".
Cette fois, suite à une observation fortuite, il y a hypothèse :"Elle n'aime pas la lumière".
Exemples d'expériences proposées par les élèves
Question 1 : "Aime-t-elle la chaleur ? "
- Première proposition : "On met des bêtes dans un vivarium, à côté du radiateur, et on regarde si elles sont sensibles à la chaleur." Remarque : le simple fait de demander à l'ensemble des élèves ce qu'ils en pensent freine l'élan de ce groupe qui était prêt à se lancer.
- Seconde proposition : "On met des bêtes dans un grand vivarium, et on met une extrémité du vivarium près du radiateur. Si elles aiment la chaleur, on doit les retrouver près du radiateur. Sinon, on doit les retrouver à l'autre bout. "
Commentaire : cette proposition n'est pas valable. Que veut dire "Aimer la chaleur ? Et s'il fait vraiment trop chaud à coté du radiateur ? Elles iraient alors vers la douce tiédeur de l'autre extrémité du vivarium, et les enfants concluraient qu'elles aiment le froid ! Notons que les élèves ont fait évoluer la formulation de questions. "La bête aime-t-elle la chaleur?" est devenue "Est-elle sensible à la chaleur ?", par exemple.
Question 2 : "Aime-t-elle la lumière ?"
- Proposition : "On sépare un vivarium en deux : une partie sombre, une autre à la lumière ambiante (avec une petite porte pour passer d'un côté à l'autre). On met les bêtes au milieu. Si elles aiment la lumière, elles vont rester au jour ; sinon, elles vont aller dans la partie sombre.
Exemples d'expériences réalisées en classe
Question 1 : "Aime-t-elle la chaleur ? "
C'est la seconde proposition qui a été mise en place.
Résultats de l'expérience : les résultats ont été faussés. En effet, les larves, toutes de la même souche, ont commencé leur nymphose cet après-midi-là, et se sont immobilisées. L'expérience a tourné court, pour laisser place à d'autres interrogations et d'autres travaux (cf. séquence sur le développement du ténébrion ). A ce jour, elle n'a pas été refaite.
Question 2 : "Aime-t-elle la lumière ?"
L'expérience proposée a été réalisée. Elle a d'abord tourné court, pour les mêmes raisons, mais elle a été refaite depuis avec des imagos, avec succès.
Mot de La main à la pâte : Mettre les larves au réfrigérateur ralentit leur transformation mais une chaleur modérée l'accélère. On peut envisager une comparaison des évolutions, en soumettant différents échantillons simultanément à différentes températures.
Séance 4
Objectifs cognitifs:
Les facteurs physiques du milieu influencent le comportement des animaux.
Objectifs méthodologiques:
Présenter oralement son travail devant la classe.
Répondre aux questions des autres élèves, argumenter.
Proposer des explications.
Objectifs d'attitude:
Accepter les critiques des autres élèves.
Déroulement
Chaque équipe présente à la classe son travail de recherche : les essais, les résultats, les conclusions. Pour cela, ils s'appuient sur leur compte-rendu et sur leurs notes (consignées dans un cahier).
L'enseignant les aide à reformuler, si nécessaire, leurs explications et à dégager des conclusions plus générales, intégrant l'ensemble des résultats. Un texte est ensuite établi collectivement.
Le mot du maître
À propos des questions des élèves :
Les questions sont souvent maladroites et nécessitent une "traduction". On s'aperçoit alors que la plupart se rattachent aux grands thèmes "reproduction, nutrition, défense, etc...". Certaines questions ne peuvent trouver de réponse que par la documentation. C'est aussi un des aspects de la démarche scientifique. (Le nom de l'animal, son pays d'origine).
Je n'ai sélectionné que des questions permettant une observation rapide et/ou facile. (Je réserve l'étude du régime alimentaire ou du système de défense contre les prédateurs à l'étude du phasme, par exemple).
A propos de la motivation des élèves :
La situation de départ peut paraître vite artificielle ; il en résulte que leurs questions perdent en spontanéité. Il en est de même pour les hypothèses, les propositions d'expérience, la prise de notes et la rédaction des conclusions pour lesquels les élèves peuvent se livrer à un simple "jeu scolaire", en répondant à une commande de l'enseignant. On peut espérer que l'intérêt pour la démarche scientifique et le plaisir qui en découle se développent avec la pratique.
A propos de la prise de notes :
- J'ai commis l'erreur de donner aux enfants des feuilles volantes. A éviter absolument. Ils les perdent ou les mélangent. L'idée du carnet ou du "cahier d'expériences" est bien meilleure.
- La prise de notes n'est pas ressentie par les élèves comme un besoin au départ. Ils se sont forcés. Je n'ai pas voulu les laisser à l'échec dans ce domaine, on aurait perdu du temps et de la motivation. En revanche, je les ai laissé oublier de dater leurs observations. Je leur ai fourni les dates après constatation du besoin de ces dates.
A propos du travail sur le vivant :
Travailler sur le vivant est plein d'imprévus. C'est ce qui fait sa difficulté et son charme. Autre problème : le facteur temps. On travaille souvent sur des périodes longues (plusieurs jours, ou plus). C'est un des intérêts de la biologie en classe. Mais il faut le gérer !
A propos de l'organisation de la classe :
Comment organiser le travail de la classe ? Travail avec toute la classe ? En groupe ? Individuellement ?
Au début, toute la classe a travaillé en groupes, à des moments précis, réservés à cette activité, avec des échanges collectifs. Ensuite, j'ai choisi, par commodité, d'organiser la classe en petites équipes. Lorsque nous avons travaillé sur du plus long terme, j'ai gardé un groupe d'enfants motivés, pour des raisons pratiques, mais aussi pensant que la motivation viendrait plus tard pour d'autres. Ce qui semble se vérifier.
A propos des prolongements possibles :
- En raison de l'engouement suscité par les "exposés", j'ai proposé aux élèves de préparer d'autre exposés sur des sujets divers (insectes, mais aussi corps humain, géographie,...)
- Deux enfants se passionnent pour les phasmes. Ils ont engagé un travail sur l'étude de cet animal.
- Le traditionnel "contrôle" est remplacé par une situation-problème sur le thème : "Est-ce que je sais me poser des questions et faire des observations pertinentes?"
- Le traditionnel spectacle de la kermesse sera remplacé, pour notre classe, par des "mini-conférences" portant sur le travail réalisé en sciences.
A propos de la démarche scientifique
La notion de "démarche scientifique" ne doit pas être rigide. Le schéma classique "observation-questionnement-émission d'hypothèse-expérimentation-vérification-conclusion" peut être chamboulé : des "expériences" deviennent de simples observations, et l'hypothèse peut être formulée après l'expérimentation.