La démarche scientifique échappe-t-elle aux catégories étudiées en logique ?

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La démarche scientifique échappe-t-elle aux catégories étudiées en logique ?

Dans La Main à la pâte, présenté par Charpak, je rencontre l'affirmation suivante: "la démarche expérimentale correspond à un cheminement réel complexe, variable d'un individu à un autre où le tâtonnement est présent".
Peut-on penser la démarche expérimentale ainsi définie, comme le lieu où se trouvent en interaction ce que nous considérons comme un nuage électronique de démarches déjà définies :

  • démarche inductive
  • démarche déductive
  • démarche d'anticipation
  • démarche de résolution de problèmes
  • démarches créatives.
  • La démarche expérimentale échappe-t-elle à ces catégories?
    Comment dépasse-t-elle ces cadres conceptuels?

    Wed 13/10/99 - 14:00

    Je ne suis pas sûre de très bien comprendre la question, mais si l'interrogation concerne les inférences à l'oeuvre dans une démarche expérimentale, bien sûr que l'on retrouve les catégories étudiées en logique.
    Il faudrait, bien sûr distinguer une démarche de recherche par un adulte ou une équipe de scientifiques, et une démarche d'investigation empirique d'un élève ou d'une classe...
    Mais, à mon avis, les articulations entre induction, déduction, abduction etc... sont certes complexes mais fondamentalement, en sciences expérimentales, la démarche doit s'affronter à la matérialité (ce qui est différent des problèmes logiques uniquement "papier-crayon"). On pourrait reprendre l'expression de Claude Debru (dans "Philosophie de l'inconnu : le vivant et la recherche") qui écrit (à partir d'une analyse historique et épistémologique) que "du point de vue logique, la démarche expérimentale fait flèche de tout bois...".
    On pourrait aussi citer la position extrême de Feyerabend, véritable "anarchiste" contre toute méthode scientifique, et pour qui, en recherche scientifique "tout est bon"...

    D'où l'importance, dans une initiation scientifique, de s'affronter à cette "résistance du réel", à cette "matérialité des sciences" (question que nous avons travaillée l'an dernier avec Béatrice Salviat pour Aster), car cela implique le développement de raisonnement complexe faisant interagir différentes inférences... (avec, peut-être un "petit plus" du côté de l'induction et de la créativité...)
    Ces quelques remarques ne représentent certainement pas une réponse satisfaisante, mais elles pourront, peut-être, contribuer à la réflexion et au débat.

    dim 24/10/1999 - 03:01
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    Pour reprendre la déclinaison proposée, la démarche scientifique est d'abord une démarche de résolution de problème.
    Pour chercher à comprendre il faut d'abord se poser le problème de ce que l'on cherche à comprendre ; ensuite on peut s'attacher à le résoudre.
    Chercher à le résoudre implique d'en faire l'analyse, ce qui doit conduire à identifier toutes les données pertinentes (données au sens de données du problème, par données expérimentales).

    Elle deviendra démarche créative lorsqu'elle s'adressera à un problème original pour lequel il n'existe aucune réponse satisfaisante connue. Dans ce cadre-là il y a bien créativité si la réponse originale proposée (en d'autres termes, l'hypothèse) ouvre des horizons totalement nouveaux (heuristique, en didactilangue).
    L'hypothèse de la séparation du soma et du germen par A. Weismann est probablement l'une des plus fécondes de la fin du XIXe siècle puisqu'elle permet de rompre avec le problème de l'hérédité des caractères acquis. On peut également penser à "l'invention" des canaux membranaires spécifiques qui a débouché sur toute la physiologie des membranes bien avant que ces canaux aient pu être "physiquement" mis en évidence.

    Elle sera ensuite inductive au sens défini par Claude Bernard (et surtout pas au sens défini par K. Popper qui n'en a pas, de sens).
    Inductive au sens ou ce qui est vrai pour un cas singulier sera proposé comme vrai pour l'ensemble des éléments de la même classe et considéré comme tel tant qu'une meilleure inférence ne l'aura pas remplacée ; ce qui me permet d'inférer tout un ensemble de propriétés conférées à cette classe par ma proposition (ce qui est vrai pour une grenouille en particulier sera proposé comme vrai pour l'ensemble de toutes les grenouilles de la même espèce, du même genre, etc.)
    Elle sera déductive (et déterministe) dans la mise en application de la proposition précédente : si ce que je pense avoir montré comme étant vrai pour une grenouille en particulier est bien vrai pour toutes les grenouille alors je dois retrouver cette même propriété chez toutes les grenouilles ; et là la loi devient générale (majeure), s'applique pour vérification à une série de cas singuliers (mineure) avant de permettre de tirer la conclusion définitive au vu des résultats expérimentaux (définitif étant pris dans le sens des sciences expérimental, c'est-à-dire un définitif tant que rien de mieux n'est proposé).
    La démarche scientifique est aussi démarche d'anticipation puisque je dois anticiper (bien ou mal) les conséquences de mon hypothèse pour tenter de la vérifier ; une hypothèse (à ma connaissance au moins) n'est jamais vérifiable en soi, seules ses conséquences peuvent l'être. "Le froid empêche la germination des graines de haricots" n'est pas vérifiable en soi, c'est sa conséquence qui l'est (c'est-à-dire l'absence de germination) ; si mon hypothèse est vraie, alors, si je mets des graines de haricots dans les mêmes conditions d'hygrométrie etc. mais à des températures variables je peux prédire que pour les températures les plus basses mes haricots ne germeront pas. Et la détermination de la température à laquelle les premières graines germeront me permettra de préciser à partir d'où commence "le froid"
    Je sais bien qu'un bon scientifique doit apprendre à se passer d'analogies (qui passent pour les pires modèles qui soient) mais je vais quand même en prendre une. Je pense que, pour les chercheurs, il en est de la démarche scientifique comme il en est, pour les artistes, de la démarche artistique.
    Un apprentissage est nécessaire (apprentissage de diverses techniques, de la mise en congruence de ces techniques) avant de chercher à s'en libérer pour atteindre ce qui rassemble artistes et chercheurs : l'élaboration d'une œuvre selon une démarche qui leur est totalement personnelle et qui ne peut plus se réduire en une juxtaposition d'étapes techniques. Si des œuvres élaborées à des périodes voisines peuvent être très proches (contexte scientifique ou artistique aidant) il n'empêche que la démarche mise en œuvre pour les élaborer peuvent être radicalement différentes (voir pour illustrer ce propos les approches très différentes des différentes équipes qui travaillaient sur la structure de l'ADN au début des années 50 dans La double hélice de J.D. Watson, en livre de poche). A ce stade de la création, le produit ne peut plus se confondre avec la procédure qui lui a donné naissance. Ce qui ne facilite pas notre tâche d'enseignant.
    Pour répondre à la dernière interrogation la démarche scientifique échappe et dépasse à la fois toutes ces catégories parce qu'elle les rassemble toutes sans qu'il soit possible d'en distinguer aucune individuellement dans le produit final.

    Si l'on en revient au problème de l'apprentissage de la démarche scientifique je pense que l'on peut s'inspirer de ce qui est mis en pratique dans les écoles artistiques : apprendre les techniques de base selon une méthodologie rigoureuse tout en procédant régulièrement à des exercices de création (imagination d'hypothèses originales) sur de vrais problèmes qui n'auront pas forcément de réponse immédiate.

    lun 22/11/1999 - 02:01
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