Quels que soient leurs poids, les objets tombent-ils vraiment à la même vitesse ?

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Quels que soient leurs poids, les objets tombent-ils vraiment à la même vitesse ?

Je viens de commencer une séquence passionnante avec une classe de 4e d'EREA (établissements régionaux d'enseignement adapté) en physique. Thème : la gravité. « Quels que soient leurs poids, les objets tombent à terre à la même vitesse. » Et je m'aperçois qu'il y a une affirmation qui m'a toujours « choqué » : Deux corps, à la surface d'une planète, tombent à la même vitesse (disons plutôt avec la même accélération) quel que soit leur poids. C'est toujours ainsi qu'est relatée l'expérience de Galilée à Pise. Or, la loi de la gravitation énonce que la matière attire la matière. Donc, dans le cas de la chute d'un corps vers un autre (une planète), on peut parler de deux objets en interaction, ayant chacun une force gravitationnelle qui se cumule (exact ?). De la même façon, il est faux de dire que la Lune tourne autour de la Terre. La Lune et la Terre tournent ensemble autour d'un point qui, certes, se trouve dans la Terre, mais qui n'est pas son centre. Donc, un objet massif qui va à la rencontre de la Terre la touchera plus tôt qu'un objet moins massif, pour la seule raison que chaque corps a un G qui lui est propre. Certes, la différence est infime (très très infime même), mais elle existe, non ? Donc, pour finir, est-ce que je délire quand je me sens « heurté » par l'affirmation « Quel que soit leur poids, les objets tombent à la même vitesse » ? Car il y a bien un moment où un objet de plus en plus massif (sans confondre poids et masse) va finir par faire varier sensiblement l'accélération. Imaginons que Jupiter et la Terre tombent l'une vers l'autre. g sur terre = 9,81m/s, g sur Jupiter doit tourner autour de 25 m/s (à vue de nez j'ai perdu mon dictionnaire de l'astronomie). Si les deux planètes se rapprochent, je me dis qu'elles vont le faire à une accélération de 9,81 + 25 = 34 m/s. Serait-ce le cas ? Si à présent on fait "tomber" la Lune vers la Terre, ça va nous donner 9,81 + 1,6 (en gros) = 11,4 m/s (si j'ai bien assimilé la théorie). Donc, 2 objets ne tombent pas à la même vitesse quel que soit leur poids. Suis-je dans le vrai ?

Fri 14/02/03 - 13:00

La réponse est relativement simple, mais quasi-impossible sans le langage mathématique.
Il n'est pas inutile de faire quelques rappels historiques :
1 / La physique d'Aristote, qui a été utilisée pratiquement jusqu'au XVIe siècle.
Chaque objet possède un lieu propre (lieu naturel de repos) qu'il cherche à rejoindre lorsque l'on n'exerce aucune action sur lui. La nature est composée de cinq éléments : l'eau, la terre, le feu, l'air et l'éther. Le monde sublunaire est le monde du mouvement rectiligne, les objets (éléments) retournant à leur lieu naturel par des trajets rectilignes. Les graves (eau et terre) tombent et les légers (air et feu) montent. Le monde supra lunaire est le monde (parfait) du mouvement circulaire uniforme et de l'éther.
Pour Aristote, l'attraction (c'est-à-dire la propriété de retourner à son lieu naturel) est une propriété intrinsèque de l'objet. Pour lui, le mouvement est équivalent à l'action, il y a donc mouvement (vitesse) si et seulement s'il y a action (force). Pour lui la vitesse est proportionnelle à l'action et inversement proportionnelle à la résistance du milieu. Et comme la vitesse ne peut être infinie, il ne peut y avoir de résistance nulle. C'est donc une négation du vide. Cette physique est fausse.

2/Les origines de la cinématique.
Les premières définitions rigoureuses de cinématique sont l'œuvre de deux scolastiques anglais du Merton Collège d'Oxford Thomas Bradwardine (1290  1349) et William de Heytesbury (1313-1372). On voit apparaître la notion de vitesse, représentée par le quotient de la distance parcourue par le temps de parcours, et la notion d'accélération ou de degré de vitesse (vitesse de vitesse).
En 1350 Nicole d'Oresme (~1320-1382) dans son Tractatus de configurationibus qualitatum et motutum introduit les notions de mouvement uniforme, de mouvement uniformément varié et de mouvement difformément varié. Les deux premiers mouvements vont former la base de la cinématique. C'est à cette époque que fut élaborée la règle dite de Merton ou règle de la vitesse moyenne qui stipule que la distance parcourue lors d'un mouvement uniformément accéléré, dont la vitesse initiale est Vi et la vitesse finale est Vf, est la même que celle parcourue par le même objet animé d'un mouvement uniforme dont la vitesse est la moyenne des deux vitesses Vi et Vf.

La physique de l'Impetus.
La physique d'Aristote fut très critiquée par les scolastiques du milieu du XIVe siècle, notamment par Jean Buridan (~1300-1358) puis par Nicole d'Oresme. La physique d'Aristote était particulièrement mise à mal pour expliquer la notion de jet, puisqu'il n'y avait mouvement que lorsqu'il y avait action, il fallait trouver une action qui agisse sur l'objet jeté après qu'il eut quitté la main du lanceur. Aristote expliquait difficilement cette action en faisant intervenir l'air devant et derrière l'objet. Buridan va inventer la notion d'impetus, sorte de force motrice imprimée à l'objet par le lanceur dans la direction du jet et qui s'épuise progressivement sous les effets des résistances extérieures. On n'en est pas encore à la notion de force, l'impetus reste une qualité intrinsèque à l'objet donnée par le lanceur.
Cette notion d'impetus sera reprise par la suite par les philosophes italiens du XVIe siècle, notamment Niccolo Fontana (1500-1557) dit Tartaglia et Giovanni Batista Benedetti (1530-1590), professeur de Galilée.

3 / Les débuts de la mécanique moderne.
Galilée va reprendre dans un premier temps la notion d'impetus puis va la remplacer par la notion de mouvement, pour lui il y a identification entre l'impetus et le mouvement. Il va étudier la chute des corps et tout comme Descartes quelques années après lui, il va énoncer une loi fausse à partir d'une observation correcte. Il va observer que les distances parcourues lors de la chute des corps sont proportionnelles au carré des temps, il en déduira que la vitesse des corps est proportionnelle à la distance. Cette erreur commise, à la fois par Descartes et Galilée, est due à l'absence d'éléments mathématiques pour représenter les vitesses, ils n'ont pas les notions de dérivées et de calcul différentiel, qui permettent de définir la vitesse instantanée. Et c'est précisément Newton qui, grâce au calcul différentiel, établira la loi de la chute des corps à la l'aide de la loi de la gravitation universelle.

Newton (1643-1727) : les trois lois fondamentales du mouvement :
Loi I : Tout corps persévère en son état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme, sauf si des forces imprimées le contraignent d'en changer. C'est le principe d'inertie que Galilée avait presque exprimé, et que Descartes avait énoncé correctement. On en déduit la notion de repère Galiléen.
Loi II : Le changement de mouvement est proportionnel à la force motrice imprimée et s'effectue suivant la droite par laquelle cette force est imprimée. C'est la loi fondamentale de la dynamique.
Loi III : La réaction est toujours contraire et égale à l'action : ou encore les actions que deux corps exercent l'un sur l'autre sont toujours égales et dirigées en sens contraire. C'est la loi de l'action et de la réaction.

4 / La mécanique newtonienne.
Le changement du mouvement (accélération) est équivalent à une action (force), donc la force est proportionnelle à l'accélération.
La masse d'un corps (où son inertie) est une propriété intrinsèque du corps et ne dépend pas du lieu où il se trouve.
Le poids d'un corps est la force avec laquelle la Terre attire ce corps, il dépend du lieu où il se trouve.
C'est la relation : Force = masse x accélération de la pesanteur qui, en se simplifiant, permet d'affirmer que des objets de masses différentes parcourent des distances égales proportionnelles au carré des temps. Je suis désolé mais je ne sais pas expliquer cela sans une formulation mathématique ! C'est toute la différence entre Galilée qui fait une observation (une mesure) et Newton qui explique cette observation avec un concept mathématique.

La loi de la gravitation universelle :
Le génie de Newton a été de comprendre que la force qui agit sur une pomme qui tombe sur la Terre et la force qui agit sur la Lune qui tourne autour de la Terre sont une seule et même force : en réalité, la Lune tombe sur la Terre. De nouveau, la démonstration de la découverte de cette loi par Newton n'est pas réalisable sans l'usage du langage mathématique. On peut se contenter d'énoncer la loi : deux corps de masses M1 et M2 sont attirés l'un vers l'autre par une force F proportionnelle au produit des masses et inversement proportionnelle au carré de leur distance, la constante de proportionnalité « G » est appelée constante de la gravitation.
En utilisant cette formulation, on trouve tout naturellement que l'accélération de la pesanteur g est égale au produit de G par la masse de la Terre divisée par le carré du rayon terrestre.
Cette constante « G » sera mesurée par Lord Henry Cavendish (1731-1810) en 1798, plus d'un siècle après l'énoncé des principes de la dynamique par Newton.
En réalité, Cavendish va calculer la masse de la Terre à partir de la constance de la gravitation universelle et de la valeur mesurée de l'accélération de la pesanteur, c'est pourquoi il a pu dire : « J'ai pesé la Terre ! »

En résumé :
Si on idéalise le problème de la chute des corps, c'est-à-dire si on néglige les forces d'entraînement de Coriolis, si on néglige la résistance de l'air et si l'on néglige les variations de l'accélération de la pesanteur avec l'altitude, deux objets de masses M1 et M2 en chute libre depuis une même hauteur sont soumis à la même accélération et parcourent des distances identiques proportionnelles au carré des temps de chute.
L'accélération est égale au produit de G par la masse de la Terre et divisé par le carré du rayon terrestre. En revanche, la Terre est attirée par l'objet de masse M1 avec une accélération qui est égale à G*M1/r2. et par l'objet M2 avec une accélération G*M2/r2. Ce sont ces deux accélérations qui sont proportionnelles respectivement aux masses M1 et M2 qui différent, et non pas l'attraction terrestre.

La réponse à votre question concernant l'addition des pesanteurs est la suivante : vous ne pouvez pas ajouter des accélérations de pesanteur, la force qui agit sur deux planètes de masses m1 et m2 est égale à G*m1*m2/d2 où d est la distance entre les corps et non le rayon d'un des corps. Vous confondez rayons des corps et distance entre les corps. Si vous centrez votre repère sur un des corps, vous ajoutez les accélérations qui sont inversement proportionnelles au carré de la distance entre les corps, mais vous ne pouvez en aucun cas ajouter les pesanteurs qui sont inversement proportionnelles au carré des rayons planétaires.
La confusion vient du fait que lorsque l'on considère la pesanteur comme constante on néglige la variation de pesanteur avec l'altitude, on néglige donc la hauteur du corps h au-dessus de la planète par rapport au rayon de la planète. Cela n'est plus possible si le corps est très loin. Dans le cas d'une deuxième planète, la distance interplanétaire n'est absolument pas négligeable devant les rayons planétaires, c'est plutôt le contraire.
Lorsque vous vous éloignez du sol terrestre (un satellite, la Lune par exemple), la formule simplifiée de l'attraction universelle, qui traduit que l'attraction est celle de la masse de Terre concentrée en son centre n'est plus valable, il convient de développer, tenir compte de la répartition de la masse de la Terre dans l'ellipsoïde terrestre et il en est de même pour la Lune et toutes les planètes du système solaire.

Quelques références bibliographiques sur la chute de corps :

Chute des corps et mouvement de la Terre de Kepler à Newton, Alexandre Koyré, Vrin, Paris 1973.
Études galiléennes, Alexandre Koyré, Hermann, Réédition 2001.

Ce que dit Descartes touchant la chute des graves, Vincent Julien et André Charrack, Histoire des sciences, Presse Universitaire Septentrion, 2002.
Mécanique, une introduction par l'histoire de l'astronomie, Eric Lindermann, DeBoeck Université, 1999.
Un site web : l'histoire de la gravitation http://elbereth.obspm.fr/~charnoz/gravitation.html

mer 19/02/2003 - 02:01
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