Les cycles biogéochimiques
Une centaine d’éléments chimiques constituent l’ensemble de la matière de la planète et parmi eux, une vingtaine se révèle indispensable à la vie, comme le carbone, l’oxygène, l’hydrogène et l’azote, les plus abondants, mais aussi le sodium, le magnésium, le calcium, le fer, le soufre, le phosphore, le magnésium et quelques éléments quantitativement mineurs.
Ces éléments sont présents chez les êtres vivants mais peuvent se trouver aussi dans l'atmosphère, les eaux et les roches. Biosphère, atmosphère, hydrosphère et roches constituent ainsi quatre réservoirs pour ces éléments.
Les éléments chimiques peuvent appartenir à diverses combinaisons moléculaires, minérales ou organiques, et passer d'une combinaison à une autre à la faveur de transformations chimiques sans que les éléments chimiques eux-mêmes soient modifiés : ce sont toujours les mêmes éléments, même si les combinaisons sont variées. Il y a donc conservation de la matière grâce au recyclage et la quantité globale de l’élément sur la Terre reste fixe au cours du temps. En effet, si la planète échange de l’énergie avec l’espace environnant, elle n’échange quasiment pas de matière, celle apportée par les météorites pouvant être négligée ici. Au cours du temps, les éléments circulent donc d'un réservoir à l'autre de façon cyclique, ce que l’on qualifie de cycle biogéochimique puisqu’il implique tant les êtres vivants que les constituants géologiques de la planète.
C’est donc un couplage chimique qui gouverne le cycle de ces éléments sur la planète. Le carbone est l'une des molécules les plus abondantes de la biosphère et le cycle du carbone nous servira d’exemple de cycle biogéochimique, mais les cycles des principaux éléments chimiques sont également bien connus.
Le carbone circule entre ses réservoirs
Les atomes de carbone sont présents dans les différents réservoirs sous la forme de diverses combinaisons chimiques, tant minérales qu’organiques, mais la quantité de carbone diffère considérablement entre les réservoirs. La masse de carbone est évaluée à quelque 5 000 gigatonnes (milliards de tonnes, Gt) pour la biosphère, plus de 100 millions de Gt pour la lithosphère, 39 000 Gt pour l’hydrosphère et 700 Gt pour l’atmosphère.
Le carbone de la biosphère est inclus principalement dans des molécules organiques qui sont constituées fondamentalement d’une combinaison d’atomes de carbone, d’hydrogène et d’oxygène à laquelle peuvent être liés d’autres éléments, principalement de l’azote, mais aussi du phosphore, du soufre, du fer, etc. Il est également présent sous forme minérale chez les animaux, notamment dans le carbonate de calcium des coquilles et des os.
Dans les roches, le carbone se trouve sous forme de carbonates, par exemple de carbonate de calcium (CaCO3) ou de magnésium (MgCO3), présents dans des sédiments et des roches calcaires.
Il se trouve aussi sous forme de molécules organiques dans les roches carbonées, comme le charbon et le pétrole, roches combustibles fossiles formées par l'accumulation et la transformation des restes d’êtres vivants au cours des temps géologiques.
Dans l’hydrosphère, il est présent dans le dioxyde de carbone (CO2, anciennement appelé gaz carbonique) dissous dans l’eau et dans des ions hydrogénocarbonate (HCO3-, anciennement appelé bicarbonate) et carbonate (CO32-). Dans l’atmosphère, le carbone est présent sous forme de dioxyde de carbone, mais il ne représente qu’une très faible fraction de l’atmosphère, 0,035 % soit 350 parties par million.
La circulation du carbone est rapide dans la biosphère
La circulation du carbone entre ses réservoirs résulte de mécanismes physicochimiques et biologiques. C'est l'activité des êtres vivants qui fait passer le carbone de ses combinaisons minérales à ses combinaisons organiques et inversement. En effet, la photosynthèse conduit à l'incorporation du carbone minéral sous forme de gaz carbonique dans les molécules organiques des organismes chlorophylliens : le carbone passe alors d'une combinaison minérale à une combinaison organique. Inversement, la respiration et certaines fermentations font passer le carbone de ses combinaisons organiques à la combinaison minérale qu'est le CO2. Ainsi, l'utilisation de la matière organique par les êtres vivants fait suivre au carbone un trajet inverse, de la biosphère à l’atmosphère. Enfin, certains organismes peuvent immobiliser une partie du carbone sous forme minérale insoluble comme le carbonate de calcium contenu dans la plupart des coquilles.
En l’absence d’activités humaines, le carbone inclus sous forme de molécules organiques dans la biomasse est en équilibre avec le carbone inclus sous forme de molécules minérales dans l'atmosphère et dans l'hydrosphère. C'est à dire que la quantité de carbone libéré par la biosphère sous forme de CO2 est sensiblement égale à la quantité de CO2 fixé par la photosynthèse. On estime que cette quantité est de l'ordre de quelques dizaines de gigatonnes par an, si on exclut la production anthropique de CO2. Toutefois, étant donné que le réservoir atmosphérique contient environ 700 Gt de carbone alors que le réservoir marin en contient environ 39 000 Gt, le carbone atmosphérique se trouve recyclé en quelques années alors qu'il faut quelques siècles pour recycler le carbone marin. La vitesse de renouvellement du carbone appartenant à la biosphère diffère également entre milieux terrestres et aquatiques. Dans le milieu terrestre elle est du même ordre que celle du carbone atmosphérique (quelques années) alors que dans le milieu marin elle est beaucoup plus rapide (1,5 mois). Ceci résulte du fait que l'essentiel de la biomasse continentale est représenté par la végétation dont la durée de vie est en moyenne assez longue, tandis que la biomasse marine est représentée essentiellement par du plancton dont la durée de vie est en moyenne très brève.
Principaux flux de carbone entre atmosphère, biosphère et hydrosphère (en gigatonnes, estimations)
La circulation du carbone entre atmosphère et hydrosphère est principalement de nature physicochimique
Le gaz carbonique se dissout dans les eaux superficielles et, en réagissant avec l’eau, forme des ions hydrogénocarbonates (solubles) et des ions carbonates (insolubles). L'équilibre de ces réactions et donc les quantités respectives de gaz carbonique, hydrogénocarbonates et carbonates, dépendent des conditions physicochimiques, notamment de la température et du pH. Aussi, selon les conditions physicochimiques, un milieu aquatique peut soit fixer du dioxyde de carbone et il constitue alors ce qu’il est convenu d’appeler un puits, soit en libérer et il constitue alors ce qu’il est convenu d’appeler une source. Les milieux aquatiques constituent donc des systèmes tampons pour le gaz carbonique atmosphérique. Les carbonates sont insolubles et se déposent sous forme de sédiments, d’origine chimique ou biologique (tests calcaires, coquilles, squelettes) qui s’accumulent en formant des roches calcaires.
Les mers et océans peuvent ainsi fixer des quantités considérables de carbone et sont les principaux régulateurs du réservoir atmosphérique sans qu'il soit encore possible d'évaluer précisément les flux mis en jeu car il est très difficile d'analyser ce qui se produit, entre autres, dans les couches profondes des océans.
La lithosphère représente, comme on l’a vu, le plus important réservoir de carbone de la planète, mais, alors que son accumulation dans les roches a nécessité des millions d’années, les activités humaines, combustion du charbon et du pétrole, production de ciment, etc., le libèrent depuis à peine plus de deux cents ans de ce réservoir sous forme de gaz carbonique qui s’échappe dans l’atmosphère. Avant l'ère industrielle, les quantités de carbone échangées entre les différents réservoirs étaient en équilibre. Il n'en est plus de même aujourd'hui, principalement en raison des rejets massifs de dioxyde de carbone dans l'atmosphère résultant de la combustion de combustibles fossiles. En effet, si la combustion de matière organique (bois, pétrole, charbon) libère du dioxyde de carbone dans l’atmosphère (la combustion de 1 g de carbone organique libère entre 1,5 et 3 g de CO2) comme le fait la respiration des êtres vivants, les échelles de temps et de volume mises en jeu dans les rejets anthropiques sont sans commune mesure avec celles impliquées dans le cycle du carbone hors activités humaines. Il a suffi de quelques dizaines d’années pour libérer dans l’atmosphère sous forme de gaz carbonique des quantités considérables de carbone dont l’accumulation dans les roches sous forme de combustibles fossiles a duré plusieurs millions d’années. Aussi, depuis les débuts de l'ère industrielle, les rejets de gaz carbonique ont augmenté exponentiellement et sa concentration moyenne dans l'atmosphère a augmenté progressivement, montrant ainsi que les flux de carbone ne sont plus équilibrés, la capacité des puits naturels (océans et végétation) à le stocker étant dépassée. La libération accrue de CO2 dans l’atmosphère et l’augmentation de sa concentration (elle est passée de 300 ppm soit 0,03 % à la fin du siècle dernier à 350 ppm aujourd'hui) sont considérés comme responsables d’une augmentation de l'effet de serre à l’origine de changements climatiques susceptibles de mettre en danger les équilibres écologiques de la planète.