Que sait-on de la construction du savoir scientifique chez l'enfant?

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Que sait-on de la construction du savoir scientifique chez l'enfant?

Bonjour !
J'aimerais savoir s'il peut y avoir connaissance scientifique même s'il n'y a pas eu de questions auparavant.
Par ailleurs, comment pourrais-je faire comprendre aux enfants qu'un résultat scientifique est rarement définitif, que la science est une construction humaine et que le savoir scientifique est constamment en remaniement ?
Enfin, peut-on avoir une idée précise sur ce qu'est la construction du savoir scientifique chez l'enfant ?

La réponse à ces questions me sera d'une grande aide pour enrichir ma réflexion sur la didactique des sciences.
D'avance je vous remercie beaucoup et je vous félicite de l'extraordinaire contribution que vous apportez au site !

Sat 20/05/00 - 14:00

1. La réponse est non, et crois pouvoir affirmer qu'il y a unanimité sur ce point, quel que soit le point de vue que l'on adopte. Je vais l'illustrer par quelques citations.
"L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement.
Avant tout, il faut savoir poser des problèmes.
Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique."
BACHELARD, G., (1938), La formation de l'esprit scientifique, VRIN, 1977 pour la 10e édition.

"Le fait est que notre pédagogie consiste à submerger les enfants de réponses à des questions qu'ils ne se sont pas posées alors qu'on n'écoute pas les questions qu'ils posent. (...) La pédagogie ordinaire est un ensemble de réponses sans question et de questions sans réponse." POPPER, K., (1990), L'avenir est ouvert, Flammarion, coll. Champs.

"On tend à oublier qu'un énoncé est souvent la réponse à un problème, à oublier aussi qu'une discipline, c'est un ensemble de concepts qu'il a fallu développer pour savoir poser le problème, puis le résoudre. Or, le texte du savoir scolaire a trop souvent perdu la trace de ce questionnement (...).
Pourtant, on le sait bien aujourd'hui, ce qui fonde effectivement une discipline, ce n'est pas son domaine d'extension, mais bien plutôt la nature des questions théoriques à partir desquelles elle questionne le réel."

ASTOLFI, J.P., (1992), L'école pour apprendre, E.S.F., coll. pédagogies.

"L'absence d'un véritable questionnement traduit un arrêt dans la construction de la pensée. (...)
Nous n'insisterons donc jamais assez sur la place du questionnement. D'abord il traduit une motivation, il est moteur du savoir. Si 'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif', on constate qu'il en est de même dans les processus d'élaboration des connaissances. C'est uniquement par ce biais que l'apprenant tente de chercher une information qui répond un besoin réel d'explication. (...) Il faut ajouter enfin que, dans toutes les études que nous avons menées en histoire des sciences sur la construction des concepts, nous avons constaté que le savoir s'était toujours constitué à partir d'une question, ou de plusieurs qui s'étaient posées successivement."

GIORDAN, A., DE VECCHI, G., (1987), Les origines du savoir, Delachaux, Niestlé.

2. Par ailleurs, comment pourrais-je faire comprendre aux enfants qu'un résultat scientifique est rarement définitif, que la science est une construction humaine et que le savoir scientifique est constamment en remaniement ?

Je ne suis pas sûr qu'il faille être aussi ambitieux. L'essentiel, à l'école, est déjà de ne pas donner aux élèves une image dogmatique de la science, mais de leur faire vivre des activités scientifiques authentiques. Il ne faut pas se méprendre sur le sens du mot "authenticité". Il ne faut pas comprendre qu'on va enseigner aux élèves les théories et les modèles qui ont cours actuellement en sciences (c'est évident, mais il fallait le dire...).
Ce sont les démarches qui sont représentatives de la véritable activité scientifique. Ainsi, confrontés à un problème, les élèves vont s'investir dans la recherche d'une solution. Ils vont opérer en groupes car les échanges sont primordiaux pour avancer. Ils vont élaborer puis réaliser des expériences. Ils vont sans doute commettre des erreurs qu'ils vont analyser, ce qui va les conduire à reprendre leurs hypothèses ou leur dispositif expérimental. Ils vont aboutir à des résultats qui vont être comparés à ceux des autres groupes.
Ils vont s'interroger sur la généralité de la solution qu'ils viennent d'élaborer... Ce faisant, ils apprennent à douter et à examiner leurs expériences et leurs résultats d'un œil critique. C'est par le vécu que va finalement s'élaborer une épistémologie "en acte". Je ne crois pas qu'on puisse faire plus à l'école.
3. Enfin, peut-on avoir une idée précise sur ce qu'est la construction du savoir scientifique chez l'enfant?

C'est certainement possible... Mais, bien sûr, personne ne peut donner une réponse définitive à cette question (cf. le ¤ précédent).
Ce qui ne l'est pas, c'est de donner une réponse courte dans le cadre de cet échange... Je ne peux que formuler un petit conseil et essayer de résumer ce qui correspond le plus à ma propre sensibilité.

Commençons par le conseil de lire et intégrer bon nombre d'ouvrages de référence, d'articles, de thèses, etc, aussi bien dans le registre de l'apprentissage que dans celui de l'histoire des sciences et de l'épistémologie. L'ensemble des archives du site "lamap" constitue déjà un bon début.

Ma propre sensibilité...
3.1. Le savoir est une construction intellectuelle.

De nombreux pédagogues ont défendu l'idée que la connaissance scientifique s'élaborait l'issue d'une observation rigoureuse, méthodique et objective de la réalité, comme si le savoir était inscrit en filigrane dans les choses, et qu'il suffisait d'apprendre à le recueillir et à le lire. Dans le contexte de l'école, cela s'est traduit par la fameuse "leçon de chose". Ce terme rend parfaitement compte de la philosophie sous-jacente. Les choses contiendraient en elles-mêmes le savoir, et nous le transmettraient comme si elles nous faisaient une leçon...
La connaissance scientifique serait simplement le reflet du monde.

Si le terme "leçon de chose" a disparu du vocabulaire couramment employé à l'école, la pratique demeure. Cousine de la "leçon de chose", la démarche baptisée O.H.E.R.I.C. (Observation, Hypothèse, Expérimentation, Résultats, Interprétation, Conclusion) par Claude Bernard relève de la même conception des sciences. Quoique contestée depuis maintenant 20 ans, elle nous semble avoir la vie bien dure...

Fondamentalement, l'épistémologie actuelle ne croit plus que la connaissance prenne ses racines dans le monde réel et conteste toute démarche qui prétend partir d'une observation ou d'une expérimentation.
Le savoir scientifique est avant tout une production intellectuelle finalisée par un problème à résoudre. Est-ce à dire que la réalité concrète et expérimentale serait absente des préoccupations des scientifiques? Non, bien sûr... Selon le point de vue actuel, un savoir scientifique est une construction intellectuelle rationnelle qui doit assurer plusieurs types de cohérence dont l'adéquation avec le réel. Les "choses" ne sont pas un tremplin qui nous propulserait jusqu'au savoir scientifique, elles sont une contrainte avec laquelle l'activité intellectuelle doit nécessairement composer dans son entreprise créatrice. L'histoire des sciences est riche d'enseignements. Le système de Copernic n'a pas été élaboré à la suite d'observations. Il a été imaginé pour permettre un calcul plus simple de la position des différentes planètes. Les atomes ont été longtemps de purs produits de l'esprit. Ils ne se sont imposés que douloureusement parce qu'ils étaient un outil de travail pour comprendre la chimie. Que dire enfin du courant électrique que personne n'a encore jamais vu circuler...?
3.2. Le savoir se construit le plus souvent contre une connaissance préalable

Plus aucun enseignant n'ignore les travaux des didacticiens sur les "représentations" ou les "conceptions" des apprenants. Ce sont de véritables systèmes explicatifs, non conformes à ce qu'on voudrait qu'ils apprennent, mais particulièrement résistants à l'enseignement. La marque du véritable apprentissage est ce changement de représentation. De nombreuses contributions ont cherché à déterminer les conditions d'un changement de représentation. Je veux bien essayer de les résumer, tout en sachant que ce sera nécessairement réducteur... Deux points paraissent essentiels.
En premier lieu, il faut conduire l'apprenant à une prise de conscience de l'insuffisance de sa conception. On ne lui fera pas apprendre quelque chose qui va lui demander un certain effort intellectuel s'il est persuadé qu'il sait déjà...
En second lieu, il faut qu'il accède à une alternative, c'est-à-dire à un nouveau savoir qu'il reconnaît comme plus efficace que l'ancienne conception.
3.3.Le savoir n'est pas cumulatif, mais relationnel

Apprendre ne consiste pas à mettre en mémoire un nombre croissant d'informations (définitions, théorèmes, formules, ...). Il n'y a aucune chance qu'elles soient retenues si elles restent sans lien les unes avec les autres. Apprendre, c'est établir des liens, c'est construire une sorte de ciment intellectuel qui donnera une cohérence d'ensemble aux différentes composantes du savoir, et qui évitera la dispersion des connaissances.

On pourrait encore développer de nombreux points et surtout envisager les conséquences pédagogiques. Je dirais pour ma part que l'aspect le plus souvent oublié est le dernier évoqué. A peine une leçon est-elle terminée qu'on se dépêche de passer à une autre, comme si le temps était compté. Pourtant, cette phase qui consiste à examiner l'étendue du nouveau savoir et établir des relations avec des connaissances antérieures est de la plus haute importance. Elle n'est pas à laisser à la charge de l'élève en dehors de l'école. Il est de la responsabilité des enseignants de l'envisager comme partie intégrante de la démarche.

dim 04/06/2000 - 03:01
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