La main à la pâte en contradiction avec Piaget ?

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La main à la pâte en contradiction avec Piaget ?

D'après Piaget, l'enfant, avant 11 ou 12 ans, n'est pas capable d'abstraction. Il a besoin de manipuler et d'avoir une relation à l'objet pour cerner un problème (scientifique). Ce besoin de manipuler va donc bien dans le sens de la main à la pâte. Mais comment concilier ce que dit Piaget avec le nécessaire besoin d'expliquer le phénomène scientifique pour que l'enfant s'en construise une première représentation et acquière une nouvelle connaissance scientifique?

Wed 26/04/00 - 14:00

Vous écrivez: "D'après Piaget, l'enfant avant 11 ou 12 ans n'est pas capable d'abstraction." De quelle "abstraction" peut-on parler ici ? Il faudrait pour respecter la pensée de Piaget lire et relire ses ouvrages, et se méfier des interprétations ou réductions excessives de ses thèses. Ainsi Meirieu écrit -il dans "Le choix d'éduquer" E.S.F.éditeur.: ce que peut produire une mauvaise lecture de Piaget: " Pour l'enseignant, cela se traduit, plus trivialement, par l'affirmation que l'on ne peut pas faire grand-chose parce que le sujet "n'est pas assez mûr" ou "n'a pas atteint le bon stade". "
D'autre part de nombreux penseurs critiquent la pensée de Piaget. Vygotsky par exemple. Vous trouverez une comparaison simple des deux penseurs dans "Eduquer et former " Editions sciences humaines. Dans ce même ouvrage les auteurs posent la question suivante: "Que reste-t-il de Piaget ?(...) Si, désormais, la conception linéaire d'un développement organisé autour de la notion de stade est largement tempérée, si le concept d'un sujet "épistémique" universel ne résiste pas au sujet en chair et en os, si l'extrapolation à l'éducation(...) du schéma piagétien s'est généralement soldée par des échecs, si l'absence d'intérêt pour les dimensions sociales et affectives du développement est problématique, alors l'idée d'un individu auteur principal de son développement semble un acquis définitif de la théorie Piagétienne. "
Plus simplement, une discussion brève avec Monsieur Yves Quéré, Membre de L 'Académie des Sciences, physicien, (effectuée mardi 2 mai 2000 ) renforce ma conviction personnelle: dès le plus jeune âge l'enfant peut faire oeuvre d'abstraction.
Le problème est aussi de définir ce que l'on entend par abstraction... a propos du processus de connaissance Le NY écrit: "Les premières acquisitions font, chez le bébé, une place prédominante aux traitements perceptifs et perceptivo-moteurs, et aux abstractions spontanées ( ...). Plus tard, le langage et les conceptualisations socialement réglées dont il est le véhicule prennent la direction de ce processus". Britt Mari Barth dans "l'apprentissage de l'abstraction" éditions Retz, distingue des niveaux d'abstraction .
Cordialement.

ven 05/05/2000 - 03:01
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elisabeth.ple@wanadoo.fr

Je ferai une réponse en deux parties : la place à accorder à Piaget et l'apport de la didactique des sciences. La seconde partie demandant un long développement, je me limiterai à des éléments de réponses et vous renverrai à quelques lectures.
1. Oui à Piaget, mais pas tout seul ! :
Concernant les activités expérimentales, je crois qu'il faut différencier faire des expériences, manipuler, qui relèvent, pour parler le langage piagétien, des opérations concrètes, de construire un plan expérimental, expliquer, voire modéliser, qui requièrent l'usage de la pensée formelle.
Le premier registre d'activités fonctionne dans l'agir et le faire et présente un caractère concret. Il est parfaitement accessible à l'école élémentaire et procure aux enfants plaisir et joie. Le second fait appel à l'hypothétique, nécessite d'anticiper c'est-à-dire d'envisager un résultat encore virtuel, et aussi de déduire, c'est-à-dire d'exprimer les conséquences logiques qui découlent de l'acte non réalisé.
Si l'enfant de l'école primaire ne mobilise pas spontanément les compétences nécessaires au second registre doit-on se contenter d'attendre que le temps fasse progresser l'enfant naturellement de stade en stade ? Attendre une maturation spontanée de l'esprit de l'enfant, et se contenter d'exercer les possibilités qu'il possède déjà ? S'appuyer sur un « déterminisme des stades » pour planifier des actions didactiques, outre le fait que ça trahirait la pensée de Piaget et surtout son ambition, correspondrait à une conception de l'apprentissage bien statique. On oublierait aussi qu'« on apprend pas tout seul » (c'est le titre d'un bon livre) et qu'une classe c'est un ensemble d'individus avec de nombreuses interactions sociales et un médiateur qu'est l'enseignant.
Alors on peut convoquer Vygotski, et stimuler intellectuellement les élèves dans leur zone proximale de développement, c'est-à-dire au-delà de leurs possibilités intellectuelles du moment, par des activités exigeantes mais accessibles. Accessibles, grâce avant tout à la volonté que va déployer l'élève pour apprendre ! Oui, je sais bien vous n'avez pas encore rencontré d'élève qui dise : « Aujourd'hui, je veux apprendre. » On peut aussi essayer le forcing du maître, mais ça marche mal ! Puis, il y a la troisième voie, celle où sans qu'il en soit conscient, il va se prendre au jeu, enrôlé par le maître (au sens de Bruner) et stimulé par les autres (je vous conseille d'approfondir avec L'Acte d'apprendre, Aumont et Mesnier, PUF chapitre 11 : les dimensions sociales de l'acte d'apprendre).
Et pour aller plus loin, convoquons aussi les travaux de la didactique des sciences.
2. L'apport de la didactique des sciences :
J. L. Martinand propose deux registres d'activités : des activités de familiarisation avec des objets, des phénomènes, des procédés, des rôles, et des activités d'élaborations intellectuelles, faisant appel à des opérations formelles dont il a été question précédemment. La recherche d'une explication que vous évoquez relève de ce second registre, mais il faut être conscient que tous les sujets d'étude mis en œuvre en classe ne doivent pas entrer dans cette catégorie. Si la formation et la littérature didactique ont tendance à mettre l'accent sur le second registre, car les activités qui en relèvent sont exigeantes et délicates, il ne faut bien sûr pas négliger les activités de familiarisation.
Le niveau de formulation d'un concept a été proposé par les travaux de didactique des sciences, dans une perspective vygotskienne. Il correspond à ce que l'enfant est capable de formuler à terme d'une explication à propos du concept mis en jeu. Par exemple, en cycle 2, concernant l'explication à la flottaison des objets sur l'eau : « il y de la matière qui flotte (le bois, le liège, le polystyrène, la cire) et de la matière qui coule (le fer, le verre, la pierre), des objets en matière qui flotte, flottent toujours, des objets en matière qui coulent s'ils sont pleins, et qui, s'ils sont creux, flottent ou coulent, ça dépend de l'importance du creux ». Évidemment, ce n'est pas spontanément, par seulement l'action et la manipulation que l'enfant va être capable d'une telle formulation ! Il est nécessaire de bien calibrer les situations à mette en œuvre.
C'est dans perspective plutôt bachelardienne que de nombreux travaux ont mis en évidence les représentations acquises par les élèves avec l'expérience de tous les jours et proposé des dispositifs pour amener l'enfant, en partant de sa représentation du monde, à la transformer et à construire le niveau de formulation visé (voir Une didactique pour les sciences expérimentales, A. Giordan ED. Belin et Comment les enfants apprennent les sciences, d'Astolfi, Peterfalvi, Vérin, Ed. Retz, qui reprennent en particulier de nombreux travaux de l'INRP).
Concernant le couplage représentation/niveau de formulation et le dispositif à mettre en place, vous pouvez aussi vous reporter à des réponses de ce site, rubrique consultants/matière et en particulier consulter la réponse à la flottaison sur différents liquides et les aimants en cycle 2.
Bon courage pour votre dossier.

lun 08/05/2000 - 03:01
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