Observations et manipulations pour prouver la rotondité de la Terre

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Observations et manipulations pour prouver la rotondité de la Terre

La Terre est plate et ronde. Comment aborder cette question qui fait obstacle ?

Sun 17/10/99 - 14:00

Depuis 1968 et les premiers clichés de clair de Terre vu de la Lune faits par l'équipage d'Apollo 8, il est évident pour tout le monde que la Terre est une boule bleue et blanche. Par ailleurs, si l'on a la chance de voyager en avion un jour où le ciel est clair, la courbure l'horizon apparaît nettement, dès que l'appareil est à haute altitude. Mais comment percevoir la rotondité de la Terre en restant à sa surface? Dans l'Antiquité, il y a plus de deux mille ans, alors que les fusées et les avions n'existaient pas encore, des hommes pensaient déjà que la Terre était ronde. Au niveau de la mer, la courbure de l'horizon ne saute pas aux yeux. Cependant, lorsqu'on regarde des gros bateaux s'éloigner d'un port, on les voit passer progressivement sous la ligne d'horizon. Cela ne se produirait pas si la Terre était plate. Quand on peut, comme en Grèce, observer la mer du sommet d'une montagne, on voit nettement plus loin que lorsqu'on se situe en contrebas, au niveau de la mer: on constate alors que l'horizon "recule" (voir le schéma ci-dessous).



Il est aussi possible, mais c'est bien plus compliqué, de s'inspirer de l'expérience historique d'Eratosthène qui, dès le IIIe siècle avant J.C., permit d'estimer la taille du méridien entre Syène et Alexandrie (ce qui fournit une estimation du rayon terrestre).

- Matériel : un bâton d'environ un mètre, un fil à plomb, un double mètre pour bricolage.

- Il faut aussi trouver un correspondant sur une latitude très différente (mais pas forcément sur le même méridien).

Il s'agit :

1. de faire des relevés de l'ombre d'un bâton planté parfaitement verticalement, sur un sol plan, au cours d'une journée ensoleillée (si possible, le même jour de l'année). L'extrémité du bâton est à exactement un mètre au dessus du sol. Ces relevés sont faits fréquemment autour du milieu de la journée. L'ombre la plus courte sera obtenue à midi heure solaire locale.

2. de mesurer avec précision la longueur de cette ombre

3. de comparer cette mesure avec celle faite par le correspondant éloigné; la différence entre les deux mesures s'expliquera par le fait que les deux plans où sont projetés les ombres ne sont pas parallèles entre eux.

Il est cependant indispensable de démontrer que les rayons solaires arrivent de façon parallèle sur la Terre. En effet, les ombres de divers objets verticaux (immeubles, arbres) sont parallèles quand le soleil les éclaire, mais divergent fortement lorsqu'elles sont éclairées par une source de lumière plus proche.



Les schémas ci-dessous montrent clairement que l'hypothèse de la rotondité est la meilleure :

Hypothèse 1 : la Terre est plate. Les ombres de deux bâtons très éloignés en latitude ont, le même jour, à midi heure solaire locale, des ombres de même longueur.



Hypothèse 2 : La Terre est sphérique. Les ombres de deux bâtons très éloignés en latitude ont, le même jour, à midi heure solaire locale, des ombres de longueur différente. Dans l'hémisphère Nord, l'ombre est d'autant plus grande que la latitude est plus élevée.

mer 24/11/1999 - 02:01
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Je suis d'accord, cette question fait réellement obstacle. En plus, et malheureusement, cet obstacle ne se prête guère à une confrontation expérimentale, ce qui rend son traitement encore plus problématique. Tout cela pour dire que la réponse que je ferai à cette question ne sera pas très "percutante". Avant de m'y lancer, je souhaiterais développer quelques réflexions sur les fondements de cet obstacle, et m'appuyer sur cet exemple particulièrement intéressant pour comprendre comment fonctionne l'apprentissage.

1. Voir une Terre plate et la penser sphérique : télescopage entre deux repères. Nous vivons sur une Terre que nous percevons plate (aux aspérités montagneuses près). Nous identifions et différencions sans ambiguïté le haut et le bas qui constituent pour nous des repères importants. Nous avons appris à situer le ciel, le Soleil, les astres "en haut", et lorsque nous descendons, c'est un pléonasme que d'ajouter "en bas". Pourtant, en astronomie, il nous faut penser une Terre sphérique dont le bas est au centre de celle-ci et le haut partout autour. Que l'on médite bien sur le caractère "surréaliste" de cette phrase : " le bas est au centre ! " Qui y croirait ? Les repères astronomiques devront donc se construire contre les repères personnels. Dans l'apprentissage des rudiments de la géométrie, l'élève apprend très jeune à se repérer sur une feuille de papier dans laquelle il identifie le haut et le bas (même d'ailleurs si la feuille est posée sur un plan horizontal). Et pas question de confondre le bas de la feuille et son centre Les repères astronomiques devront donc, en plus, se construire en rupture avec les repères géométriques spontanés. Ainsi, comprendre pleinement la signification d'une Terre sphérique, passe par la construction intellectuelle d'un nouveau système de repérage.

2. Par quels processus s'opère cette construction ? L'enfant d'âge primaire va amorcer des changements sur la manière dont il se représente la Terre. Mais le chemin est parsemé d'embûches et l'aboutissement n'est pas assuré au cours de cette période.
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2.1. La pensée procède préférentiellement par assimilation
Plaçons-nous du point de vue d'un jeune enfant de 5-6 ans. Sa conception de l'espace, compte tenu de son âge, est nécessairement plane. Un jour ou l'autre il entend l'information selon laquelle "la Terre est ronde". Il n'est pas possible qu'il puisse la saisir dans toute sa portée. Il va néanmoins l'intégrer à son système de pensée tout en conservant l'essentiel de celui-ci, c'est-à-dire un haut et un bas absolus. Il va ainsi se représenter une Terre ronde comme une galette. Dans l'approche piagétienne, on nomme assimilation le processus par lequel une information est intégrée au mode de pensée préalable, sans modification de celui-ci.
2.2. La sélection des informations
Changer sa façon de penser, construire de nouveaux repères, n'est pas facile, et la pensée ne recherche pas spontanément la difficulté. Au contraire, le système cognitif est fondamentalement conservateur. Il manifeste une forte tendance à opérer une sélection qui le conduit à ignorer ou à rejeter certains éléments, en partie ou en totalité. Il s'agit d'un processus normal destiné essentiellement à éviter la surcharge cognitive. Bien entendu, cette sélection n'est pas aléatoire. Si l'on présente à un élève des éléments qui le perturbent ou tout simplement dont il ne perçoit pas l'intérêt, il aura une forte tendance à les ignorer... Revenons à notre jeune enfant. Nous avons supposé qu'il entendait, un jour, l'information "la Terre est ronde". Il est probable que l'adulte intentionné a pris la peine de lui expliquer qu'il fallait entendre "ronde comme une boule, comme un ballon, et non comme un disque". Mais ne réussissant pas à faire cadrer l'information avec son système de pensée, l'enfant en assimile une partie seulement (la Terre est ronde), et évacue l'autre partie (comme un ballon).
2.3. L'assimilation déformante
Il arrive malgré tout que la totalité des informations soit retenue. L'enfant ne va pas indéfiniment se représenter une Terre "ronde comme une galette" alors que les adultes (parents, enseignants, éducateurs) lui auront maintes fois répété "ronde comme un ballon" Il va devoir, à un moment ou à un autre, prendre en compte le caractère sphérique de notre planète. Mais rien n'est gagné car une écoute attentive permet souvent de se rendre compte que derrière des traits de surface apparemment corrects (l'enfant peut formuler explicitement que la Terre est ronde comme un ballon, il peut la dessiner), se cache encore une forte incompréhension de ce que représentent le haut et le bas. Je développerai ce point dans le paragraphe 3. 2.4. L'accommodation Ce processus intervient lorsque la pensée opère une réorganisation. Les bases sur lesquelles elles fonctionnent changent alors fondamentalement. L'accommodation est la marque du véritable apprentissage. Sur le sujet qui nous occupe, et dans les cas les plus favorables, on peut estimer à la fin de l'école primaire le moment où les élèves deviennent capables de concevoir le haut et le bas comme des références liées à la Terre. Mais pour certains ce sera plus tard

3. Comment suivre ces évolutions à l'école ?
On peut aisément percevoir les progrès et les difficultés de ses élèves en leur demandant des dessins et en s'entretenant individuellement avec eux, en suivant un protocole qui va évoluer en fonction de la maîtrise qu'ils révèleront. En voici un exemple en plusieurs phases.

3.1. Dessiner la Terre et les océans. En passant auprès des élèves et en discutant avec eux, on percevra aisément s'ils la pensent plane (ronde comme un disque) ou sphérique. Dès le cycle 2 c'est ce second cas qui prévaut.

3.2. Dessiner le ciel, le Soleil, les étoiles
S'ils expliquent de manière très convaincante que la Terre est ronde comme un ballon, beaucoup représentent le ciel et les astres en haut de leur feuille. C'est approximativement la période du cycle 2, voire du début du cycle 3.

3.3. Dessiner un bonhomme au pôle nord.
Tous le représenteront en haut de la feuille Ce n'est pas très grave, n'importe quel adulte ferait de même. Mais c'est symptomatique.

3.4. Dessiner un bonhomme au pôle sud.
Certains élèves le dessineront peut-être correctement, c'est-à-dire les pieds qui touchent la Terre et la tête orientée vers le bas de la feuille. Mais beaucoup orienteront la tête en haut de la feuille.

3.5. Chaque bonhomme lâche une pierre à bout de bras.
Dessiner par une flèche ce que fait la pierre. Parmi les élèves qui ont correctement représenté le bonhomme au pôle sud, certains dessineront une flèche orientée vers le bas de la feuille À l'école primaire, rares sont ceux qui parviennent sans embûches au bout de cette épreuve S'il y en a, on peut raisonnablement penser qu'ils ont construit des repères liés à la Terre et qu'ils s'en servent pour raisonner, contrairement aux autres qui reviennent plus ou moins vite aux repères de la feuille.
N.B. Mes réflexions sur cette partie sont grandement inspirées de NUSSBAUM, J., (1990, 1991), "La perception par les élèves des concepts astronomiques", Les Cahiers Clairaut, n° 52, 53, 54, 55.

4. Que faire pour accélérer cette construction ?
Comme je le disais, il n'y a pas de solution miracle. Voici quand même quelques propositions.

4.1. Des simulations ?
On peut toujours coller des bonshommes autour d'une boule en utilisant de la pâte à fixe Cela n'aura certainement pas grande portée car les élèves savent bien que si elle se décolle, le bonhomme se retrouvera sur le plancher On peut faire un peu mieux avec une boule métallique, et des aimants scotchés aux pieds des bonshommes. Évidemment, on induit une confusion entre gravitation et magnétisme. Pour l'anecdote, j'ai vu des élèves acquiescer en disant qu'effectivement il y a du fer dans la Terre Bref, terrain glissant. On l'a compris, je suis sceptique sur la réelle portée de ces simulations.

4.2. L'observation de photos ou de vidéos de l'espace
À quelles conditions ? Les élèves sont dans leur grande majorité familiarisés avec les images de la Terre prises par satellite. L'ennui est qu'on peut se demander ce qu'elles représentent chez eux, tant elles sont devenues banales. Ne se réduisent-elles pas à l'annonce du bulletin météo au même titre que la camionnette de chez "Darty" ? Pour leur rendre leur intérêt pédagogique, il faudrait qu'elles (re)deviennent sources de questionnement. Deux types d'images me semblent particulièrement appropriées. - Celles dans lesquelles la Terre apparaît en haut de l'écran TV, avec si possible un astronaute au premier plan, tête également en haut du téléviseur. La Terre ne va-t-elle pas lui tomber sur la tête ? - Réciproquement, si la Terre apparaît en bas de l'écran, il serait intéressant de voir des astronautes travailler la tête orientée également vers le bas de l'écran. Comment font-ils pour travailler la tête en bas ? Bref, il s'agit de sélectionner des images qui déstabilisent nos repères personnels. Elles sont propices pour commencer à comprendre que le haut et le bas n'ont pas de sens dans l'espace.

4.3. Une écoute attentive et permanente de la part de l'enseignant.
C'est une évidence, mais il n'est pas inutile de la répéter tant il est important de déceler les difficultés et de comprendre où en sont ses élèves.

4.4. Des débats entre élèves.
On sait l'intérêt que présentent ces moments de confrontation où l'élève, désirant convaincre son alter ego, se trouve dans l'obligation de clarifier sa pensée au point parfois d'en percevoir ses contradictions. Je suggère de profiter de l'idée présentée dans le paragraphe 3 pour faire débattre les élèves, d'abord en petits groupes homogènes, autour de quelques dessins judicieusement choisis. Il peut être intéressant de le faire deux ou trois fois dans l'année scolaire. J'insiste sur le caractère homogène des petits groupes. C'est important lorsque la tâche demandée est exigeante au plan cognitif. Le risque est grand, dans les groupes hétérogènes, de voir le débat se limiter à quelques "meneurs", les autres démissionnant sur le plan de leur réflexion.

4.5. Une distanciation par rapport au repère de la feuille.
Les didacticiens des mathématiques ont signalé les dangers de l'apprentissage de la géométrie sur des papiers quadrillés. Ils ont mis en garde contre ces rectangles toujours dessinés parallèlement aux bords de la feuille. À procéder ainsi, on accentue la dépendance de l'élève vis-à-vis d'un repère particulier, alors qu'il faudrait l'aider à acquérir une mobilité lui permettant de passer d'un repère à un autre, sans les mélanger. Pourquoi ne pas s'amuser à dessiner la Terre sur une feuille de forme bizarre où l'on n'identifierait ni haut ni bas ? Pourquoi ne pas s'entraîner à la dessiner sur une feuille rectangulaire, mais en situant le pôle nord en bas, à droite de la feuille. Où sont alors le pôle sud, l'équateur, la France ?

4.6. Une référence à l'histoire : comment le sait-on ?
Cette entrée n'aide pas directement les élèves à construire ces nouveaux repères dont il a été question, mais elle leur permet de comprendre les difficultés que les hommes (et les "savants") ont rencontrées jadis. Une difficulté partagée est plus facile à assumer. Quelques précisions pour ceux qui ne maîtrisent pas l'histoire de l'astronomie. On sait que la Terre est ronde depuis très longtemps (ce ne sont ni Christophe Colomb ni Galilée qui y ont contribué, contrairement à certaines idées reçues). - Les navigateurs savent depuis que la navigation existe que la vigie, guettant depuis le sommet de son mât, voit la Terre avant les hommes restés sur le pont. Cela n'est pas compatible avec une Terre plane, mais l'est avec une Terre sphérique. - Les éclipses de Lune, connues et comprises depuis une lointaine antiquité, constituent une seconde présomption. Durant ce phénomène, on voit l'ombre de la Terre se détacher sur le disque lumineux de la pleine lune, ce qui autorise à induire sa forme. - La contribution essentielle est due à Eratosthène (environ 284-192 av JC) qui a effectué la première mesure du rayon de la Terre. Son principe peut sans doute être abordé avec des élèves de CM2. À l'heure d'Internet et du courrier électronique, on peut envisager une correspondance entre deux écoles situées l'une dans le nord, l'autre dans le sud de la France (ou dans d'autres pays...). La méthode consiste dans un premier temps à tracer l'extrémité de l'ombre d'un bâton (de longueur commune pour les deux écoles) planté verticalement au sol au fil d'une journée, puis de mesurer dans un second temps la longueur de l'ombre la plus courte. Dans l'école située au nord, la longueur de l'ombre la plus courte sera supérieure à celle obtenue dans l'école située au sud. Il faudra ensuite organiser soigneusement une réflexion avec les élèves pour se demander quelle en est la raison. Il y a deux possibilités. La Terre est plane et le Soleil est très proche... Le Soleil est très loin, et la Terre est ronde Comme on le voit, les "preuves scientifiques" ne sont jamais faciles à établir. Mais comme d'autres indices plaidaient en faveur d'une Terre sphérique, c'est la deuxième hypothèse qui a été retenue par Ératosthène. Cette activité, j'en conviens, est "limite" pour l'école À méditer Il faut ajouter, pour en terminer avec l'aspect historique, que cette connaissance est restée longtemps réservée à une minorité cultivée. Dans un tableau datant du début du XVIe siècle, le peintre Jérôme Bosch a représenté la Terre par une sphère qu'il a coupée dans sa partie inférieure par un plan horizontal, obtenant ainsi deux parties. La partie basse représente le sol (sa surface est donc plane). La partie haute représente le ciel empli de nuages Pour conclure Je ne prétends pas avoir fait un inventaire exhaustif des pistes intéressantes à exploiter, mais je suis sûr d'une chose : aucune, à elle seule, ne conduira à des résultats spectaculaires. C'est par la multiplicité des angles d'attaque et par leur croisement qu'on a quelque chance d'accompagner efficacement les élèves dans cette difficile évolution, tout en n'oubliant pas qu'elle s'inscrit dans la durée. Une année scolaire est un minimum. L'ensemble de la scolarité primaire est souhaitable si la concertation entre les maîtres fonctionne bien dans l'école.

sam 27/11/1999 - 02:01
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