Questions aux experts
Biodiversité et évolution
Les défenses des mammifères
Quelle est l'utilité principale (qui explique l'évolution) des défenses des animaux tels que le sanglier, le phacochère, le morse, l'éléphant ou le narval ?
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La question de "l'utilité" est souvent liée à une projection anthropomorphique, qui n'a pas toujours de réponse rationnellement satisfaisante.
Les défenses correspondent, anatomiquement parlant, à une hypertrophie des canines. Cette hypertrophie fait que les canines ne peuvent plus assurer leur rôle premier dans la trituration et la dilacération des aliments. La fonction de ces dents est alors modifiée. Il faut remarquer que toutes les espèces animales évoquées sont des espèces à structure sociale et familiale forte : les défenses sont développées pour qu'elles soient vues : le caractère social est manifeste : identification individuelle, affirmation de la force des mâles, élément de dissuasion sont des fonctions partagées par tous les animaux qui vivent en groupe, au sein duquel les signaux visuels sont très importants.
Il faut distinguer, parmi l'ensemble des espèces animales évoquées, plusieurs groupes.
Chez les Suidés (phacochère, sanglier), les défenses ont deux fonctions principales. D'une part, il s'agit d'un caractère sexuel secondaire, destiné à mettre en avant la dominance des mâles (les femelles portent aussi des défenses, souvent moins massives). Cette fonction est exacerbée chez le phacochère, chez lequel les défenses peuvent atteindre 20 cm de long. Il y a également une certaine "utilité" aux défenses, du moins lorsqu'elles ne sont pas trop grandes : les Suidés sont des animaux fouisseurs, qui fouillent et défoncent le sol à la recherche de tubercules et de racines. Les défenses participent à cette activité alimentaire, le groin seul ne fait pas tout.
La fonction d'attirance et de signal sexuel est très éminente chez le narval, chez lequel seule la canine droite est développée, la gauche restant atrophiée, normale, pourrait-on dire. Cet ornement n'a d'autre "utilité". Les relations anciennes de narval harponnant des barques avec leur défense correspondent à des animaux en colère, qui se prennent au
piège, car ils sont incapables de retirer la défense une fois celle-ci enfoncée profondément dans un matériau dur. La défense a également un rôle de dissuasion face à un adversaire potentiel inconnu (cette fonction n'est d'aucune utilité au narval face à un orque...).
Il en va de même pour le Morse, qui se sert toutefois de temps à autre de ses défenses pour "piocher" les fonds marins. Pour les animaux marins, l'hypertrophie de ces ornements constitue en règle générale plus une gêne qu'un avantage (hormis sur le plan de l'attirance des femelles).
Enfin, chez l'éléphant, les fonctions sociale (identification des individus entre eux) et sexuelle (attirance d'un partenaire) sont tout aussi importantes que pour les autres groupes. Toutefois, les grands adultes, porteurs de belles défenses, se servent couramment de celles-ci pour courber une branche dont ils vont se nourrir, par exemple. Mais il ne s'agit là que d'une aide ponctuelle, la trompe étant faite pour assurer
principalement cette tâche.
Au point de vue évolutif, l'hypertrophie des défenses s'est faite progressivement pour justement correspondre aux exigences sociales de leurs porteurs. Il semble qu'elle ait évolué de manière indépendante chez les groupes d'espèces pour lesquelles la question est posée. Ce qui est sûr, c'est que les éléphants actuels sont les derniers représentants d'une famille qui comptait de nombreuses espèces : la forme des défenses servait de signal d'identification entre les différentes espèces de mammouths, par exemple.
Chez les mammifères marins, l'évolution des défenses s'est faite d'abord pour répondre aux tentatives de prédation : leur but était d'impressionner l'adversaire. Progressivement, le rôle sexuel s'est affirmé, avec la disparition progressive d'un certain nombre de prédateurs.
Il est à noter enfin que l'évolution fonctionnelle peut aboutir à une hyper-spécialisation, porteuse elle-même de facteurs de disparition d'une espèce : les tigres à dents de sabres ont lentement développé des canines énormes, destinées à capturer des proies de plus en plus grosses, tout en satisfaisant la fonction d'attirance sexuelle d'un partenaire. Mais la taille des canines a fini par gêner les félins, qui étaient obligés de se cantonner à certaines proies, laissant à d'autres espèces moins pourvues un spectre alimentaire plus large. Ces dernières, plus opportunistes, ont fini par évincer les tigres à dents de sabre, qui, n'ayant plus assez de proies, ont disparu.