Le sommeil en bref
Depuis longtemps, les hommes s’interrogent sur le sommeil. La pensée antique lui a attribué un dieu, Hypnos, qui est aussi le père de Morphée, divinité des rêves. Au fil des siècles, philosophes, médecins, physiologistes se sont essayés à l’observer et à le définir. Le sommeil est un sujet de recherche très actif actuellement dans les laboratoires, mais cette fonction, essentielle à la vie, reste encore mystérieuse.
Coup d’œil sur le sommeil
On a observé des sujets endormis, adultes ou enfants, sujets normaux ou malades, hommes ou animaux, le jour ou la nuit… On a observé la durée globale du sommeil, son fractionnement ou non, l’immobilité totale ou non des dormeurs, la difficulté plus ou moins grande à les réveiller, leurs sensibilités au bruit ou à la lumière, leurs positions, leurs comportements et leurs humeurs après le réveil, etc.
De grands pas ont été faits à partir des années 1950 lorsqu’on a commencé à utiliser l’électroencephalographie, EEG (pour détecter les signaux électriques provenant des neurones) chez des sujets endormis. Les tracés recueillis dans des laboratoires du sommeil ont révélé que le cerveau est actif pendant le sommeil, et que cette activité est différente de celle de l’état éveillé.
L’EEG, couramment utilisé aujourd’hui, et de nombreuses autres techniques servent à explorer l’activité cérébrale pendant le sommeil. Pour compléter, on recueille des données sur le tonus musculaire, le cœur, la respiration, les mouvements des yeux, la température, les paroles du dormeur, etc. afin de réunir le plus de renseignements possible concernant l’état de l’organisme pendant le sommeil.
Des laboratoires de recherche fondamentale en neurosciences s’attachent quant à eux à comprendre les mécanismes précis du sommeil et de ses actions.
Le sommeil sans uniformité
Les explorations montrent que :
- l’activité du cerveau humain change lors du sommeil nocturne,
- cette activité « sommeil » est caractéristique et spécifique de cet état,
- qu’elle varie par cycles tout au long du sommeil.
Lors de l’endormissement, le rythme des ondes cérébrales se ralentit et parallèlement le tonus musculaire se relâche (la tête bascule). Se succèdent ensuite des cycles de 90 minutes environ chacun pendant la nuit.
Chaque cycle (ou train) comprend une phase de :
- sommeil léger et lent : les ondes cérébrales sont lentes et simultanément le tonus musculaire se relâche de plus en plus, la respiration est régulière et ralentie.
- sommeil lent profond : les ondes cérébrales sont très lentes et très amples, le tonus musculaire est très diminué. Il est difficile de réveiller le dormeur pendant cette phase.
- sommeil paradoxal : les ondes cérébrales ressemblent à celles observées pendant l’éveil ! Les yeux bougent rapidement et par saccades sous les paupières fermées (sommeil REM Rapid Eye Movement) alors que le dormeur est complètement immobile, ses muscles sont comme paralysés. L’aspect des ondes cérébrales et le relâchement complet des muscles constituent le paradoxe de cette phase.
Pendant le sommeil, à tous les stades et particulièrement pendant le sommeil paradoxal, surviennent les rêves. Ils sont faits d’images et de sons internes, d’émotions, de pensées sans logique.
L’activité cérébrale particulière au sommeil a des effets non seulement sur le tonus musculaire , mais aussi sur le rythme de la respiration et des battements cardiaques, sur les organes des sens (vision, audition, …), sur la sécrétion d’hormones, sur le métabolisme, etc. ainsi que sur les rêves.
Variations des rythmes du sommeil
L’exposition à la lumière des écrans retarde l’endormissement. Les écrans émettent une
Chez un même sujet, les cycles se modifient au fur et à mesure que la nuit avance : le sommeil lent profond devient plus rare, le sommeil lent léger prend plus de place, le sommeil paradoxal se prolonge. Le réveil survient à la fin d’une phase de sommeil lent léger.
Le sommeil varie au cours de la vie en durée (le bébé et le jeune enfant dorment plus longtemps qu’un adulte) et en structure (pendant l’enfance, le sommeil lent est plus profond et le sommeil paradoxal est plus long que chez l’adulte).
Le sommeil varie d’un individu à l’autre. Certains sont petits dormeurs, d’autres gros dormeurs ; certains sont lève-tôt tels des alouettes, d’autres sont plutôt couche-tard, du type hibou.
Le cas de la sieste : jusqu’à l’âge de 5-6 ans, une sieste est nécessaire à l’enfant. Mais l’organisme adulte semble avoir lui aussi un besoin inhérent de sieste. Certains considèrent la sieste de l’après-midi comme faisant partie du cycle sommeil/veille.
Les horloges et le sommeil
L’alternance sommeil éveil est organisée par des processus homéostatiques (la fatigue de l’activité physique accumulée pendant la journée par exemple) et par une horloge interne située dans le cerveau (hypothalamus). Dans l’espèce humaine, cette horloge tourne sur 24 heures environ (le rythme circadien) et nous synchronise sur le rythme jour/nuit. Sous l’influence de l’obscurité, l’horloge entraine la sécrétion de mélatonine ou hormone de la nuit qui chez l’homme facilite le sommeil.
Pourquoi dormir ?
Des expériences montrent que le sommeil est nécessaire à l’apprentissage et à la mémoire. On estime que, pendant le sommeil, le cerveau trie et intègre les informations accumulées
Le sommeil est une activité indispensable à la vie, nous ne pouvons pas vivre sans dormir. Le sommeil existe chez les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les amphibiens, et même les insectes avec des caractères propres à chaque espèce.
Nous ressentons tous qu’après une bonne nuit, nous avons récupéré des fatigues de la journée précédente, que nous avons repris des forces neuves, que nous nous sentons dispos.
Le sommeil a des fonctions variées sur notre organisme : il intervient dans la consolidation de la mémoire, dans la gestion de nos émotions, dans la production d’hormones (comme l’hormone de croissance indispensable pendant l’enfance ou l’hormone régulant la prise d’aliments), dans l’efficacité du système immunitaire, dans l’élimination de protéines déchets, …. Chez le bébé, qui dort beaucoup, le sommeil serait indispensable au bon développement de son cerveau.
Le sommeil, un aide-mémoire
La recherche fondamentale fait avancer les connaissances sur les liens entre sommeil et mémoire. Chacun peut l’observer sur lui-même : le sommeil favorise la mémorisation d’un apprentissage réalisé la veille. Les recherches fondamentales démontrent que les rongeurs réussissent à mémoriser les parcours compliqués qu’ils ont fait dans des labyrinthes pour trouver de la nourriture, parce qu’ils le refont dans leur cerveau une fois endormis. Le sommeil permet au cerveau de rejouer les informations enregistrées dans la journée, et cette répétition contribue à consolider la mémoire.
Les perturbateurs du sommeil
Le sommeil n’est pas une perte de temps : il est essentiel pour notre santé, notre équilibre de vie, pour la qualité de nos activités diurnes, pour nous sentir bien.
Parmi ce qui peut nuire à un bon sommeil, citons la lumière, le bruit, les aliments excitants, les modes de vie, les conditions sociales, … sans oublier les punaises de lit.
La généralisation de l’éclairage électrique a modifié nos temps de sommeil. D’une part, la lumière électrique (particulièrement la lumière des diodes électroluminescentes LED maintenant très répandues) dérègle notre horloge biologique. D’autre part, l’activité nocturne, professionnelle ou sociale, permise par l’éclairage artificiel, désorganise elle aussi notre rythme veille/sommeil.
Un ordinateur, un smartphone, une console de jeu risquent de perturber notre endormissement et de dégrader notre sommeil, parce qu’ils sont source de lumière et parce que l’activité du jeu nous fait négliger ou combattre les signaux qui devraient conduire à dormir.
Tout ce qui empiète trop et trop souvent sur le temps de sommeil peut affecter plus ou moins profondément notre équilibre de vie (somnolence diurne, troubles de l’humeur, troubles de l’appétit, troubles de l’attention, qualité de nos activités, etc.).
Le bâillement et le sommeil
Le passage de l’état d’éveil (ou état de veille) au sommeil ne se fait en général pas subitement. Parmi les signes qui invitent à dormir, le bâillement est caractéristique et facilement repérable. Le bâillement, comportement stéréotypé qui existe chez la plupart des vertébrés, reste mystérieux à bien des égards.
Qui bâille?
Le bâillement est un comportement très répandu chez les animaux. On l’a observé dans toutes les classes de vertébrés, chez des poissons, des amphibiens, des oiseaux, des reptiles, et chez beaucoup d’espèces de mammifères. Dès la naissance, l’être humain, comme d’autres animaux, bâille. On sait maintenant que le fœtus bâille dans l’utérus maternel.
Comment se déroule un bâillement ?
Le bâillement est un comportement stéréotypé. Il commence par une inspiration ample et lente, la bouche largement ouverte ; puis la respiration s’arrête brièvement, l’air restant bloqué dans la poitrine ; enfin une expiration se fait lentement et bruyamment. Les muscles respiratoires sont étirés, ainsi que ceux du visage et du cou. Les paupières se ferment avec tant de force qu’une larme peut perler. Puis les muscles concernés par le bâillement se relâchent. Une sensation de bien-être s’ensuit.
Quels signes peuvent accompagner le bâillement ?
La « pandiculation » est caractérisée par un étirement généralisé des muscles du corps. On étend les bras, on les porte au-dessus de la tête, on renverse la tête en arrière, tout en étirant les muscles de l’abdomen, des cuisses et des mollets ; on creuse le dos. La pandiculation se voit chez l’homme et chez les animaux. Elle est fréquente avant le sommeil, ainsi qu’au réveil.
Quand bâillons-nous ?
Il semble bien que l’état de somnolence déclenche le bâillement. On bâille le soir avant de s’endormir, le matin au réveil, dans la journée avant ou après une sieste.
On bâille aussi quand on fait des tâches monotones et répétitives (la conduite automobile sur l’autoroute), quand on s’ennuie, quand on est fatigué, … Dans ces situations, le bâillement agirait comme un signal d’alarme indiquant que notre vigilance baisse.
Le bâillement se produit dans d’autres situations comme la faim ou la satiété.
Combien de fois bâillons-nous par jour ?
C’est assez variable d’un individu à l’autre et selon l’âge. En moyenne, on bâille 5 à 10 fois par jour…
Le nombre de bâillements quotidiens est augmenté ou au contraire diminué dans certaines pathologies ou par certains traitements médicaux.
La vie en société (le savoir-vivre, la politesse) a–t-elle une influence sur le bâillement ?
Le bâillement survient de façon involontaire, comme un réflexe. Il est irrépressible, on ne peut pas l’empêcher. Mais on apprend à le diminuer, en minimisant l’ouverture de la bouche et l’expiration. On apprend à le dissimuler le plus possible, en mettant la main devant la bouche. On peut aussi l’accentuer. « Gardez-vous bien de bâiller (…). Si, par indisposition, quelquefois même par imitation, vous ne pouvez vous abstenir de bâiller, mettez la main ou votre mouchoir devant la bouche, et faites en sorte que personne ne s’en aperçoive. » Petit manuel de savoir-vivre – Bernardin-Béchet et fils, Libraires-Editeurs, 1866.
Pourquoi bâillons-nous ?
« Tout me lasse : je remorque avec peine mon ennui avec mes jours, et je vais partout bâillant ma vie. » Chateaubriand
Le rôle du bâillement reste encore mystérieux. Il est réflexe, il survient en dehors de notre volonté. La commande du bâillement se situe dans notre cerveau, les régions qu’elle implique sont connues et elles sont reliées entre elles.
Sa fonction principale serait de nous alerter lorsque notre vigilance baisse. C’est bien le cas lors de la conduite monotone sur l’autoroute : le bâillement signale qu’il est dangereux de continuer la route.
Lorsque le bâillement survient à la fin de la journée, il nous invite au sommeil. On peut accepter cette invitation ou la refuser.
Une des caractéristiques du bâillement, chez l’homme et certains mammifères, est qu’il est communicatif. Cette observation est simple à faire : voir quelqu’un bâiller nous fait bâiller. On imite l’autre involontairement, on entre en résonance avec lui. Le rôle et le mécanisme de cette « contagion » : manifestation d’empathie ? phénomène de cohésion du groupe ? sont encore hypothétiques.
Pourquoi mettre un « ^ » sur le « a » de bâiller ?
Le verbe bâiller vient du vieux français baaillier. Le double « a » est remplacé par l’accent circonflexe. On prononçait « baailler », en prolongeant le « a », comme pour imiter le long « a » du bâillement… On retrouve cette onomatopée en anglais yawn. On a envie de bâiller rien qu’en prononçant le mot.
Références
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Bâillement, Wikipedia
Les écrans et le sommeil : quel rapport ?
Article rédigé par Elena Pasquinelli, Juillet 2021 – Relu par Stéphanie Mazza, professeur des universités à l’université Lyon1 et Anne Bernard-Delorme
Est-ce que nous dormons trop peu et si oui, peut-on savoir pourquoi ? En France, Santé publique France (l’agence nationale de santé publique) lance un signal d’alarme : les Français ne dorment pas assez longtemps. A qui la faute ? Aux nouvelles technologies, téléphones, tablettes, Internet ? C’est probablement plus compliqué que cela. Cherchons donc, en premier lieu, à établir quelques faits.
Les faits : enfants, adolescents et adultes, on ne dort pas assez, on dort moins qu’auparavant
Dans le numéro de mars 2019 du Bulletin épidémiologique hebdomadaire de l’Agence nationale de santé publique (Léger et al. 2019), nous trouvons les résultats d’une enquête (réalisée en 2017) du Baromètre de Santé Publique en France, sous le titre “Le temps de sommeil, la dette de sommeil, la restriction de sommeil et l’insomnie chronique des 18-75 ans”.
Cette enquête a concerné le temps de sommeil total (temps total dédié au sommeil sur 24 heures, siestes comprises) et la dette de sommeil (donnée qu’on obtient en soustrayant le temps de sommeil total au temps de sommeil idéal pour l’âge (nous reviendrons sur ce terme) ; si la différence entre les deux est supérieure à 1 heure on parle de dette de sommeil; si la différence est supérieure à 1h30 on parle de dette sévère). Environ 25 000 personnes ont été interviewées par téléphone. Environ 12 000 d’entre elles, considérées comme représentatives de la population française, ont reçu un questionnaire comportant des questions sur l’heure habituelle de coucher et de réveil, la durée des éveils nocturnes ainsi que le temps estimé pour s’endormir, les siestes pendant la journée et la différence entre les habitudes de sommeil pendant la semaine et pendant le week-end.
Les résultats, en bref et en chiffres :
“Le TST moyen/24h est de 6h42 en semaine et 7h26 au repos. Parmi les sujets, 35,9% sont des courts dormeurs, 27,7% sont en dette de sommeil (18,8% en dette sévère), 17,4% en restriction (14,4% sévère). Plus d’un quart des adultes (27,4%) font au moins une sieste en semaine, d’une durée moyenne de 50 minutes, un tiers (32,2%) en font le week-end, d’une durée moyenne de 59 minutes. L’insomnie chronique touche 13,1% des 18-75 ans, 16,9% des femmes et 9,1% des hommes.” (Léger et al. 2019)
Et un petit glossaire pour comprendre ce qui se cache derrière ces indicateurs et ces chiffres et commente ces dernières sont calculées :
* TST = Temps de sommeil total
* TST nocturne = le temps de sommeil réel (pas le temps passé au lit), calculé en posant des questions telles que : « Le plus souvent, à quelle heure éteignez-vous votre lampe pour dormir ? » ; « Le plus souvent, combien de temps vous faut-il pour vous endormir ? » ; « Vous arrive-t-il de vous réveiller la nuit avec des difficultés pour vous rendormir ? Si oui, en général combien de temps restez-vous éveillé au cours de la nuit ? » ; « Le plus souvent, à quelle heure vous réveillez-vous ? ». Les questions sont posées pour les jours de travail et pour le week-end, de manière à calculer un TST moyen = (5*TST_S (semaine) + 2*TST_WE (week-end))/7.
* TST moyen/24h = il s’agit du résultat est obtenu en additionnant le temps de sommeil total nocturne et le temps de sieste, pour la semaine et pour le week-end, puis globalement : TST-24h moyen = (5*TST-24h_S (semaine)+2*TST-24h_WE (week-end))/7.
* Temps de sommeil idéal = est calculé individuellement, en posant la question : a été calculé à partir de la seule question suivante : « En moyenne, de combien de temps de sommeil avez-vous besoin pour être en forme le lendemain ? »
* Court dormeur (dans ce texte indique des sujets qui ont un sommeil court = TST ≤6 h/24 h
* Dette de sommeil = TST idéal-TST>60 min (dette sévère : >90 min)
* restriction de sommeil = est calculée à partir de la différence entre temps de sommeil pendant le week-end et les jours de la semaine : TST jours de repos-TST jours de travail. Restriction = 1 à 2 h de différence (restriction sévère >2 h).
Qui plus est, ces chiffrent s’aggravent si on les compare à ceux des enquêtes précédentes, obtenues avant 2010. En somme, le temps dédié au sommeil diminue en France au fil des ans. Plusieurs questions viennent alors à l’esprit :
- Est-ce grave de ne pas dormir assez ? Comment fait-on pour établir si on dort assez ou pas assez ? Que veut dire “dormir assez” ? Existe-t-il vraiment une dose de sommeil idéale pour tout le monde ? Qu’en est-il des adolescents qui, souvent, sont accusés de dormir trop peu et mal par leurs parents et leur entourage ?
- Que pouvons-nous dire à propos des causes du manque de sommeil ? Est-il démontré que les écrans sont la cause principale d’un manque de sommeil aujourd’hui ?
> Léger D, Zeghnoun A, Faraut B, Richard JB. Le temps de sommeil, la dette de sommeil, la restriction de sommeil et l’insomnie chronique des 18-75 ans : résultats du Baromètre de Santé publique France 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(8-9):149-60. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/8-9/2019_8-9_1.html
Est-ce grave de ne pas dormir “assez” ?
Plusieurs études épidémiologiques mettent en évidence l’association ou la corrélation entre d’un côté le “mauvais sommeil” (sommeil interrompu, durée totale réduite, modification des rythmes et différentes phases du sommeil) et de l’autre, un ensemble de problèmes liés à la santé.
En 2004, l’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) attribuait à la privation de sommeil les conséquences néfastes suivantes : des effets tels que de la fatigue, de la somnolence, de l’hypertension artérielle, une baisse des capacités du système immunitaire ; des effets cognitifs, tels que la détérioration des performances, de la motivation, de l’attention et concentration (et en lien avec celles-ci une augmentation du risque d’accidents au travail ou lors de la conduite automobile) ; des effets sur la santé mentale ; des effets sur la capacité de répondre au stress, de modérer les émotions…
Des observations menées chez plusieurs espèces animales montrent que l’importance du sommeil est telle que la privation totale peut conduire à la mort. Le sommeil est un phénomène très répandu dans le règne animal : il est documenté chez de très nombreuses espèces, y compris chez les insectes (le sommeil est particulièrement étudié chez la Drosophile (la petite mouche des fruits), même si la définition qui est donnée du sommeil et du repos est encore débattue.
Cependant, le sommeil est – sous plusieurs aspects – un phénomène encore mystérieux, à commencer par ses raisons d’être. Même si les scientifiques associent le sommeil à de nombreuses fonctions de notre organisme, métaboliques, endocriniennes, immunitaires, cognitives, … (d’où la variété observée des effets potentiels de la privation induite ou du “mauvais” sommeil – et vice versa, l’impact potentiel de troubles de ces fonctions sur le sommeil), nous ne savons pas encore répondre à la question : pourquoi dormons-nous, pourquoi tant d’espèces animales dorment-elles ? Quel est le rôle du sommeil ?
De la même manière, il n’est pas facile d’établir exactement quels sont les effets de la privation de sommeil : d’un côté, les études expérimentales et observationnelles de privation de sommeil sont soumises à des contraintes éthiques et à des limites méthodologiques ; de l’autre côté, il n’existe pas nécessairement une “dose” de sommeil qui serait idéale pour tout le monde.
Comment étudie-t-on les effets de la privation de sommeil ? Quelles sont les limites de ces études ?
a. Des études expérimentales
Nombre de ces études scientifiques mesurent les effets sur les performances cognitives d’une privation induite de sommeil nocturne. Elles sont faites chez des animaux, mais aussi chez l’humain, notamment des études de courte durée et, dans quelques cas, chez des adolescents. Elles montrent toutes en général un effet significatif notamment sur l’attention.
D’autres font des mesures subjectives de qualité et de durée du sommeil. Elles montrent, elles aussi, l’existence d’une association entre les qualité et quantité de sommeil et les capacités cognitives – mais cette association, notamment chez la personne âgée, peut aller dans les deux directions (la diminution des performances cognitives s’associe aussi bien à une mauvaise qualité de sommeil/réduction du temps de sommeil qu’à une augmentation de la durée du sommeil).
En ce qui concerne les adolescents, les chercheurs se limitent le plus souvent à imposer aux sujets volontaires un retard d’endormissement d’une heure, et à en observer les conséquences. Ce retard à l’endormissement entraîne un réveil difficile le lendemain matin, augmente la somnolence et peut diminuer les performances scolaires au cours de la journée suivante.
Ce type d’études expérimentales a des limites – dont les chercheurs sont conscients – qui rendent difficile l’interprétation non équivoque des résultats. Le nombre d’individus participant aux expérimentations est souvent faible, l’éthique de la recherche impose de ne pas mettre les participants dans des situations dangereuses et enfin les mesures peuvent contenir des biais.
Par exemple, dans le cas des études conduites chez des adolescents, ce sont soit les chercheurs, soit des personnes de l’entourage de l’adolescent (par exemple les enseignants, s’ils sont impliqués dans le protocole) qui évaluent l’état de somnolence et les performances des jeunes participant à la recherche, soit les participants eux-mêmes à travers des questionnaires. Dans le cas où des personnes de l’entourage de l’adolecent sont censées renseigner les questionnaires, il est difficile de faire en sorte que ces personnes ne soient pas informées du fait qu’un adolescent fait partie du groupe expérimental dont les nuits sont ponctuellement plus courtes ou du groupe témoin. Par exemple, si les adolescents sont répartis en deux groupes (“sommeil réduit” et “sommeil non réduit” respectivement) et qu’on demande à leurs enseignants de noter le lendemain leur état de vigilance, attention en classe ou somnolence, il peut être difficile de s’assurer que les enseignants ne savent pas lesquels de leurs élèves appartiennent au groupe « sommeil réduit”) et de garder ainsi leur objectivité au moment de renseigner le questionnaire. Dans le deuxième cas, celui où l’adolescent renseigne son questionnaire, il est évident que la personne qui remplit le formulaire ne peut pas pas être “aveugle” à sa condition dans l’expérimentation.
b. Des études observationnelles
Pour éviter le problème des petits effectifs et celui des risques imposés, les scientifiques font des études observationnelles : au lieu d’altérer les conditions de sommeil des participants, ils se limitent à les enregistrer (par des questionnaires, par exemple) et cherchent à déceler des régularités. Ces “observations” se basent tantôt sur les données collectées directement par les individus (ou dans le cas des enfants et des adolescents, par leurs parents), via un carnet du sommeil, à remplir jour par jour ; tantôt sur des questionnaires rétrospectifs (en posant des questions concernant les heures de sommeil pendant la semaine passée) ; tantôt sur des enregistrements effectués à l’aide par exemple de bracelets qui enregistrent les mouvements du sujet.
Grâce aux méthodes observationnelles, il a été possible de montrer que l’adolescent retarde son endormissement et son réveil de près de deux heures, ce décalage pouvant être plus important (des adolescents se couchent entre 1 heure et 4 heures du matin). On arrive ainsi à mettre en évidence non seulement les habitudes de sommeil mais aussi la façon dont elles évoluent en fonction des changements de modes de vie dans nos sociétés, changements liés à de potentiels perturbateurs du sommeil et à d’éventuelles solutions pour protéger ce dernier.
Les études observationnelles permettent des comparaisons entre deux ou plusieurs cohortes (on parle d’études transversales). Par exemple, une cohorte ayant une durée de sommeil “optimale”, l’autre présentant un manque de sommeil. Les investigateurs cherchent à vérifier s’il y a des différences dans l’état de santé ou des performances cognitives entre ces 2 cohortes. Les études purement observationnelles, même transversales, ne peuvent pas à elles seules indiquer sans ambiguïté l’existence d’une relation causale entre santé et sommeil (voir encadré Les études transversales ci-dessous).
Cependant, la présomption de causalité, même partielle, évoquée par les études observationnelles et expérimentales, entre sommeil et santé est renforcée par d’autres types de recherche, par exemple les influences réciproques sommeil/autres fonctions physiologiques.
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Existe-t-il vraiment une quantité de sommeil idéale pour tout le monde?
A la question de savoir si le besoin de sommeil est le même pour tout le monde, la réponse est non. Adultes et enfants, par exemple, ne dorment pas tous autant, ni de la même façon.
La durée du sommeil et son organisation changent avec l’âge. Qui n’a pas constaté qu’un adulte ne dort pas autant ni de manière aussi fragmentée qu’un nouveau-né…
Des changements importants dans la structure du sommeil ont lieu pendant toute l’enfance et l’adolescence.
Nous avons déjà dit que la littérature concernant en particulier le sommeil de l’adolescent montre l’apparition d’un décalage de l’heure d’endormissement et de celle du réveil.
Ce décalage a des causes à la fois biologiques et sociales-environnementales : aux changements du rythme circadien et des systèmes homéostatiques dûs à la puberté, s’ajoute l’influence des facteurs environnementaux (on peut constater la différence entre le nombre d’heures de sommeil que l’adolescent s’accorde ou peut s’accorder pendant la semaine et celui qu’il tend à adopter pendant les weekends et les périodes de repos). On observe que pendant les weekends et les vacances, les adolescents préfèrent se coucher et se réveiller plus tard, alors que pendant la semaine les heures de réveil sont fonction des horaires scolaires. La diminution des heures de sommeil pendant la semaine peut avoir des effets délétères sur les performances, et entraîner des somnolences mises en évidence par plusieurs études (et remarquées par les adolescents eux-mêmes, leurs parents et leurs enseignants !).
Aux différences liées à l’âge, s’ajoutent les différences inter-individuelles (de plus en plus reconnues comme étant liées à des facteurs génétiques). On peut distinguer deux grandes catégories de dormeurs (ou chronotypes) : les “courts dormeurs”* qui ont un besoin physiologique de sommeil de moins de 6h et les longs dormeurs* (9 heures de sommeil et plus). Mais cette division est évidemment caricaturale. En réalité, il y a beaucoup plus de variations entre un individu et un autre, y compris en termes de besoin de sommeil par nuit. Les horaires de “bon sommeil” que nous pouvons trouver un peu partout ne sont que des indications dont la seule valeur est de nous donner un repère approximatif.
Comment alors identifier la “bonne” dose de sommeil pour chacun ? Existe-t-il une dose “universelle et idéale”, associée à une bonne santé et à un bon fonctionnement cognitif ?
Une durée de 8 heures de sommeil par 24 heures est généralement reconnue par les instances de santé publique nationales (notamment l’Académie américaine du sommeil et celle de pédiatrie) et internationales comme étant la durée minimale de sommeil nécessaire pour un adolescent entre 13 et 18 ans. Ces instances recommandent également de veiller à un sommeil de bonne qualité, sans interruption, et donc d’éviter des dispositifs électroniques à proximité du lit.
Courts et long dormeurs
“La durée idéale du sommeil est extrêmement variable d’un individu à l’autre. Certains sont de longs dormeurs avec des besoins de sommeil de 9 heures ou plus (jusqu’à 12h par nuit !), d’autres sont des courts dormeurs ayant besoin de moins de 6 heures. Le record dans ce domaine est détenu par un Australien qui dort 3h30 par nuit. Finalement, la durée de sommeil dont on a besoin est celle avec laquelle on fonctionne bien le lendemain.” (Réseau Morphée, Courts et long dormeurs https://reseau-morphee.fr/le-sommeil-et-ses-troubles-informations/quel-dormeur/court-long)
Adan, A., Archer, S. N., Hidalgo, M. P., Di Milia, L., Natale, V., & Randler, C. (2012). Circadian typology: a comprehensive review. Chronobiology international, 29(9), 1153-1175. CDC. How much sleep do I need? https://www.cdc.gov/sleep/about_sleep/how_much_sleep.html Consensus Conference Panel, Watson, N. F., Badr, M. S., Belenky, G., Bliwise, D. L., Buxton, O. M., … & Tasali, E. (2015). Recommended amount of sleep for a healthy adult: a joint consensus statement of the American Academy of Sleep Medicine and Sleep Research Society. Journal of Clinical Sleep Medicine, 11(6), 591-592. Consensus Conference Panel, Watson, N. F., Badr, M. S., Belenky, G., Bliwise, D. L., Buxton, O. M., … & Heald, J. L. (2015). Joint consensus statement of the American Academy of Sleep Medicine and Sleep Research Society on the recommended amount of sleep for a healthy adult: methodology and discussion. Sleep, 38(8), 1161-1183. Hirshkowitz, M., Whiton, K., Albert, S. M., Alessi, C., Bruni, O., DonCarlos, L., … & Hillard, P. J. A. (2015). National Sleep Foundation’s sleep time duration recommendations: methodology and results summary. Sleep health, 1(1), 40-43. Iglowstein I, Jenni OG, Molinari L, Largo RH. Sleep duration from infancy to adolescence: reference values and generational trends. Pediatrics 2003;111:302–7. Mayo Clinic. How many hours of sleep are necessary for a good health? https://www.mayoclinic.org/healthy-lifestyle/adult-health/expert-answers/how-many-hours-of-sleep-are-enough/faq-20057898 NIH. How much sleep do children need? https://www.nhs.uk/live-well/sleep-and-tiredness/how-much-sleep-do-kids-need/ Owens, J., & Adolescent Sleep Working Group. (2014). Insufficient sleep in adolescents and young adults: an update on causes and consequences. Pediatrics, 134(3), e921-e932. Paruthi, S., Brooks, L. J., D’Ambrosio, C., Hall, W. A., Kotagal, S., Lloyd, R. M., … & Wise, M. S. (2016). Consensus statement of the American Academy of Sleep Medicine on the recommended amount of sleep for healthy children: methodology and discussion. Journal of clinical sleep medicine, 12(11), 1549-1561. Paruthi, S., Brooks, L. J., D’Ambrosio, C., Hall, W. A., Kotagal, S., Lloyd, R. M., … & Wise, M. S. (2016). Recommended amount of sleep for pediatric populations: a consensus statement of the American Academy of Sleep Medicine. Journal of clinical sleep medicine, 12(6), 785-786. Richards, A., Inslicht, S. S., Metzler, T. J., Mohlenhoff, B. S., Rao, M. N., O’Donovan, A., & Neylan, T. C. (2017). Sleep and cognitive performance from teens to old age: more is not better. Sleep, 40(1), zsw02 Shochat, T., Cohen-Zion, M., & Tzischinsky, O. (2014). Functional consequences of inadequate sleep in adolescents: a systematic review. Sleep medicine reviews, 18(1), 75-87. Schwartz, M. D., & Kilduff, T. S. (2015). The neurobiology of sleep and wakefulness. Psychiatric Clinics, 38(4), 615-644.
Que peut-on dire à propos du manque de sommeil ?
Un manque de sommeil plus ou moins important (dette grave ou pas) est-il solidement prouvé dans la population française ? Dans d’autres pays ?
C’est une bonne pratique de toujours vérifier si les faits que l’on cherche à expliquer sont bien établis avant de se poser la question de leurs causes ! Or, on remarque que la plupart des études épidémiologiques concernant le temps dédié au sommeil, à différents âges de la vie, se basent sur des questionnaires ou carnets du sommeil. Lorsqu’un sujet répond à des questions comme celles ci-dessous, il peut en partie fabriquer ses réponses sans s’en rendre compte (voir : Léger et al. 2018) :
« Le plus souvent, à quelle heure éteignez-vous votre lampe pour dormir ? » ;
« Le plus souvent, combien de temps vous faut-il pour vous endormir ? » ;
« Vous arrive-t-il de vous réveiller la nuit avec des difficultés pour vous rendormir ? Si oui, en général combien de temps restez-vous éveillé au cours de la nuit ? » ;
« Le plus souvent, à quelle heure vous réveillez-vous ? ».
Cependant, lorsque des questionnaires ou des carnets de sommeil sont proposés dans le cadre d’études sur le sommeil conduites en laboratoire, on s’aperçoit que les réponses subjectives sont cohérentes avec des données chiffrées obtenues par des mesures effectuées par des spécialistes. De plus, le manque de sommeil est un phénomène qui ne concerne pas uniquement la France mais aussi d’autres pays ayant des habitudes de vie semblables.
Focus sur la question : la faute aux écrans ?
Bien que les écrans – dispositifs électroniques type téléphone, tablette, console de jeu, télévision – soient souvent mis au centre du débat, les rendre seuls responsables serait certainement trop simpliste. Un très grand nombre de facteurs influence le temps et l’organisation du sommeil.
Nous avons cité l’existence chez l’adolescent de facteurs physiologiques qui font qu’il se couche tard le soir. A cela s’ajoute – pour les adolescents, comme pour les enfants et les adultes – un grand nombre de facteurs sociaux : les horaires de l’école ou du travail, les horaires des activités sociales, sportives, culturelles, les situations de pauvreté ou de précarité, la vie nocturne permise par l’éclairage, etc., qui affectent le temps de sommeil.
Peut-on tout de même cerner avec précision les effets des écrans sur la dose de sommeil quotidienne à l’enfance et à l’adolescence ?
Plusieurs études – recueillies dans des revues systématiques et dans des méta-anamyses de la littérature qui permettent de combiner ces études et de les synthétiser – soulignent que les enfants et les adolescents “consommateurs d’écrans” (télévision ou ordinateur dans leur chambre, ceux qui regardent beaucoup la télévision, ceux qui jouent souvent à des jeux vidéo, ceux qui utilisent plus souvent Internet, etc.), se couchent plus tard le soir et dorment pendant moins d’heures que ceux qui ne sont pas dans ces conditions.
Une revue systématique de la littérature (Hale & Guan 2015)
En 2015, une revue systématique de la littérature scientifique concernant l’utilisation de media technologiques a montré l’existence d’une association significative entre, d’un côté, la quantité d’utilisation de dispositifs électroniques (téléphone, télévision, ordinateur, jeux vidéo et écrans de manière générale) et, de l’autre la réduction du temps de sommeil et de la qualité du sommeil (ex. sommeil interrompu) accompagnée de signes de fatigue pendant la journée. Cette revue est publiée dans Sleep Medicine Reviews – un journal scientifique spécialisé dans le thème du sommeil et de ses troubles.
(Une revue basée sur l’analyse de 36 études réalisées avant 2010 était parue en 2010. Nous avons choisi de ne rapporter que les résultats de la revue la plus récente. Electronic media use and sleep in school-aged children and adolescents)
L’analyse de 2015 a inclus 67 études réalisées entre 1999 et 2014 et concernant des enfants et des adolescents (population entre 5 et 17 ans). La grande majorité des études analysées sont des études de type observationnel transversal.
Les études observationnelles transversales
Les études transversales sont des études observationnelles comparatives (sans constitution d’un groupe expérimental dont on modifie les conditions).
A un moment donné ou pendant une période de temps relativement courte, on compare deux ou plusieurs groupes de sujets. On collecte des données sur un échantillon de sujets, par exemple l’exposition des sujets de chaque groupe à un facteur qu’on considère un facteur possible de risque (comme l’utilisation des écrans), et on mesure des facteurs qu’on considère comme pouvant être impactés par le risque (par exemple la quantité et qualité du sommeil ou l’heure d’endormissement). On recherche ensuite par des moyens statistiques si le facteur de risque et les autres facteurs sont associés : l’augmentation de l’un est-elle associée à une augmentation, une diminution ou un état stationnaire d’un autre dans la population observée.
Les études transversales ne permettent pas d’exclure que d’autres causes sont en jeu qui peuvent expliquer l’association. Par exemple des causes physiques comme l’obésité ou comportementales comme le manque d’activité physique pourraient être la cause (cachée) à l’origine des deux facteurs observés.
Les études transversales ne permettent non plus d’exclure que la relation de cause-effet va dans la direction opposée à celle que l’on présumait. Si on présume une association entre utilisation des écrans et sommeil, il est impossible, sur la base des seules études transversales, d’exclure que se coucher plus tard est la cause d’une utilisation plus importante des dispositifs électroniques le soir (on n’arrive pas à s’endormir et on occupe le temps avec les écrans, par exemple). Les études transversales ne permettent pas de savoir, même en présence d’association positive, si le facteur de risque est la cause des phénomènes observés au niveau des autres facteurs observés.
Quels sont les résultats de cette analyse de la littérature scientifique ?
90% des études incluses dans l’analyse montrent l’existence d’une corrélation négative entre la quantité de temps passé devant les écrans et la quantité de sommeil et l’heure d’endormissement. En pratique, les enfants et les adolescents qui sont de grands utilisateurs de dispositifs électroniques ont une durée de sommeil plus courte et un endormissement déplacé vers des heures plus tardives.
Cependant, les auteurs de la méta-analyse soulignent la difficulté d’extraire des conclusions définitives.
Par exemple, si 78% des études concernant les liens entre utilisation de la télévision et durée du sommeil montrent une corrélation négative (plus de télévision/moins de sommeil), la seule étude qui a employé des méthodes objectives pour quantifier le sommeil (un bracelet qui signale le niveau d’activité physique) n’a pas mis d’association en évidence. Ceci soulève inévitablement la question de savoir si l’association rapportée par 78% des études ne souffre pas d’un biais dû au fait que ce sont les parents ou l’enfant qui répondent de façon subjective et souvent rétrospective au questionnaire des scientifiques sur la quantité de sommeil par nuit.
Cependant, bien qu’elles apparaissent plus objectives, les études qui emploient l’adoption d’un comportement nouveau – comme le port d’un bracelet qui enregistre son activité – peuvent, elles aussi, comporter des biais. En effet on doit redouter que lorsque les adolescents portent le bracelet – donc dans le cadre de l’étude – ils se couchent plus tôt car ils savaient être enregistrés !
Ce genre de considérations invite à la prudence dans l’interprétation des données. Reste le fait que la corrélation négative entre sommeil et écrans semble pour le moment appuyée par les données existantes.
2016, une méta-analyse (Carter et al. 2016)
En 2016, une méta-analyse a été produite par une collaboration internationale de pédiatres et publiée dans le JAMA Pediatrics (Journal of the American Medical Association), journal réputé. Cette méta-analyse concerne des enfants et des adolescents entre 6 et 19 ans ; elle reprend 463 études expérimentales ou observationnelles réalisées jusqu’à 2015 mais se concentre sur téléphones et tablettes, et notamment sur deux aspects de l’association entre quantité/qualité du sommeil et écrans :
- l’accès : le fait d’avoir un écran là où on va dormir, à l’heure de se coucher (ce qui signifierait selon les auteurs que non seulement le fait d’utiliser des dispositifs électroniques mais le simple fait de les avoir à disposition dans l’environnement du sommeil s’associe à la quantité et éventuellement à la qualité du sommeil)
- et l’usage : le fait d’utiliser un écran immédiatement avant d’aller dormir.
Finalement, après avoir exclu toutes les études qui ne leur donnaient pas assez de garanties de qualité (absence de biais, défauts de protocole), les auteurs ont analysé les 17 études qu’ils ont considérées de qualité correcte (donc sur les 463 études recensées, seules 17 ont été analysées après les divers tris – ce qui devrait nous faire réfléchir quand nous nous limitons à citer “une étude qui dit que…”).
Quelle est la différence entre une revue systématique de la littérature scientifique et une méta-analyse?
Une revue systématique de la littérature consiste en un résumé des études existantes, une discussion de leur qualité, une description de leurs résultats. Une revue systématique nous dit combien d’articles parmi ceux publiés et retenus par les auteurs de la revue convergent vers un résultat analogue. Par exemple, une revue systématique sur les effets de l’utilisation des écrans sur le sommeil nous dit combien d’articles trouvent une association entre utilisation de l’ordinateur ou du téléphone et la quantité/qualité du sommeil.
Une méta-analyse implique des critères stricts et bien définis pour le choix des articles à prendre en considération. Elle ne se limite pas à comparer et à discuter, elle a pour but de combiner les résultats quantitatifs des études retenues dans un seul résultat final. Pour cette raison, les études retenues doivent être quantitatives, mais aussi comparables, pour ne pas additionner torchons et serviettes !
Il est très difficile de “lire” une méta-analyse, car celle-ci utilise plusieurs outils mathématiques (statistiques) pour combiner les résultats des publications originales sur lesquelles elle se base. Or, selon les outils statistiques utilisés, un effet peut être gonflé ou réduit. Par exemple, le fait de combiner dans un seul résultat des quantités obtenues via des études sur des petits échantillons de sujets et des études sur de grands échantillons de sujets peut fausser l’image finale, si on se limite à combiner la significativité attribuée par chaque auteur à son étude originale.
Les méta-analyses permettent d’identifier des lacunes dans la littérature, c’est-à-dire que certaines études manquent ou que les études existantes présentent (de façon suspecte) trop de résultats positifs (alors qu’on s’attend à plus de variété dans les résultats).
Elles permettent aussi de se rendre compte du pourcentage d’articles et donc d’études de qualité et apportant des preuves de qualité, par rapport à la masse des études réalisées dans un domaine (l’existence de revues spécialisées de bonne réputation permet de sélectionner au premier abord les articles parus dans des revues de qualité, mais cette sélection n’est pas suffisante pour une méta-analyse où les auteurs s’intéressent de près aux méthodes utilisées).
La méta-analyse de 2016 montre que dans la majorité des 17 études, il y a une association significative entre d’une part la présence de média dans l’environnement dédié au sommeil à l’heure du sommeil ou leur usage avant le sommeil, et d’autre part une réduction du temps de sommeil, une mauvaise qualité du sommeil, et une plus grande somnolence pendant la journée.
La méta-analyse compare également le facteur “présence de dispositifs/absence de dispositifs dans l’environnement” et le facteur “usage des dispositifs/absence des dispositifs dans l’environnement”. Mais il n’y a pas de comparaison “usage/non usage des dispositifs” (même si présents dans l’environnement) de sorte qu’il est impossible de savoir s’il y a une différence entre le fait d’avoir un téléphone ou une tablette juste à côté de soi au moment de se coucher et le fait de les utiliser.
Les auteurs précisent – à juste titre – qu’il faut considérer ces résultats avec prudence, car les études incluses dans la méta-analyse présentent sont très hétérogènes (méthodes utilisées, âge des sujets observés, média utilisés ou présents dans la chambre). Selon eux, l’hétérogénéité est telle qu’il faut considérer que le niveau de preuve de l’existence d’une association entre “usage des écrans” et “quantité/qualité du sommeil” est faible. Un niveau de preuve faible signifie que la publication de nouvelles données, issues de nouvelles études, pourrait changer le résultat de la méta-analyse.
En outre, les études incluses dans l’analyse ne permettent pas d’extraire des considérations causales, car il ne s’agit que d’études transversales (cross-sectional). Ceci même si les études en question montrent des résultats significatifs – là où significatif signifie juste que le résultat obtenu a peu de chances (on s’accorde généralement sur un seuil de 5 chances sur 100) d’être dû à un simple hasard.
Néanmoins, les auteurs de la méta-analyse tirent des conséquences en termes de recommandations pour la protection du sommeil.
“Nos conclusions appuient les recommandations selon lesquelles des interventions devraient être développées et évaluées afin de réduire l’accès et l’utilisation des appareils électroniques au moment du coucher. Plus précisément, nous appuyons la nécessité de recommandations spécifiques par rapport à l’âge des utilisateurs, pour l’accès et l’utilisation des appareils électroniques, ainsi que d’initiatives menées par les parents pour réduire l’accès et l’utilisation de ces appareils, en collaboration avec les prestataires de soins de santé et les enseignants.”
Lire ces recommandations et ces affirmations de causalité a de quoi surprendre, puisque les auteurs de la méta-analyse ont eux-mêmes souligné les limites méthodologiques concernant l’association media-sommeil et l’incertitude entourant les conclusions de leur analyse, voire son incapacité à apporter des preuves d’un lien causal.
En outre, prendre en compte uniquement la quantité de sommeil pour identifier des éventuels effets délétères de l’utilisation des écrans sur le sommeil ne saurait pas être suffisant car on doit également s’intéresser à la qualité et à l’architecture du sommeil (voir ci-dessous et voir : Higuchi et al. 2005).
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Que dire à propos des caractéristiques de l’usage des écrans qui pourraient nuire au sommeil?
Notre prudence à la lecture des articles ne fait en réalité que souligner la nécessité de chercher à élucider l’existence de risques pour le sommeil spécifiquement liés à l’usage des écrans. Que donnent d’autres types d’études que celles vues précédemment ? Par exemple, des mécanismes sous-jacents à un effet réduisant la durée de sommeil ont-ils été montrés ?
Des chercheurs ont proposé que les écrans pourraient nuire au sommeil selon plusieurs modalités. Les deux hypothèses suivantes prédominent dans la littérature :
– le déplacement : le temps que l’on pourrait passer à dormir serait de fait employé pour faire autre chose (dans ce cas : utilisation des écrans) : le temps du sommeil se trouverait ainsi retardé et réduit (naturellement, cette considération s’applique à toute activité qui viendrait occuper les heures typiquement dédiées au sommeil, mais dans ce cas il s’agit de comprendre si les écrans sont de fait utilisés pendant les heures typiquement dédiées au sommeil) ;
– l‘état de vigilance ou d’éveil : les stimulations, psychologique produite par le contenu des écrans et physiologique due à l’exposition à la lumière, créeraient un état de vigilance accrue freinant ou inhibant l’endormissement.
Ainsi, les écrans pourraient agir sur le sommeil par la voie du comportement : chez l’enfant ou l’adolescent qui joue sur écrans le soir, cette activité prend la place du sommeil. Mais les écrans pourraient aussi agir de façon plus indirecte en provoquant une excitation psychologique et/ou physiologique ce qui rend plus difficile de trouver le sommeil.
Les effets d’une stimulation psychologique (éveil, émotions) ont-ils été démontrés ? Les résultats des études ne sont pas nets.
Il a par exemple été montré que regarder un film violent à la télé ou jouer à un jeu vidéo violent augmente la fréquence cardiaque (au cours du visionnage ou du jeu), et peut aussi induire des pensées ou émotions violentes. Il est possible que ces pensées violentes puissent se traduire par des effets sur le sommeil, mais les études actuelles n’apportent pas de preuves suffisantes.
Une étude (Higuchi et al. 2005) a mesuré l’effet d’utiliser un écran pour jouer à des jeux vidéo et l’a comparé à l’effet d’utiliser un écran pour une tâche répétitive non ludique (dans les mêmes deux conditions). Les résultats montrent une même excitation (mesurée par la fréquence cardiaque), indépendamment de la tâche, mais plus de difficultés d’endormissement et des altérations du sommeil (mises en évidence par électroencéphalogramme) pour la situation de jeu par rapport à celle de non jeu. L’étude a concerné 7 individus hommes adultes auxquels on a demandé d’utiliser les écrans entre 23h00 et 1:45 du matin. On ne peut pas tirer une conclusion affirmative de cette étude, qui a un nombre d’échantillons trop petit et trop de conditions. Cependant, l’étude pointe dans la direction de la nécessité d’analyses à la fois quantitatives (quantité de sommeil) et qualitatives (architecture et qualité du sommeil) concernant l’impact éventuel des écrans. La question relative à l’excitation psycho-physiologique reste donc à approfondir.
La lumière artificielle nuit-elle au sommeil ?
Que dire des effets de la lumière, et notamment de la lumière artificielle ?
L’exposition à la lumière émise par les écrans le soir avant et/ou pendant le coucher est un mécanisme pouvant avoir un effet négatif sur le sommeil. On sait en effet que la lumière du jour est un régulateur externe puissant des rythmes circadiens de notre organisme, dont fait partie le rythme veille-sommeil. La lumière influence la production d’hormones (mélatonine, cortisol, …) qui agissent sur l’endormissement ou l’éveil. Est-ce que la lumière artificielle dans l’environnement a une incidence sur l’endormissement, la qualité du sommeil ou d’autres paramètres liés au sommeil?
Des scientifiques ont étudié l’effet de l’accès à la lumière électrique sur le sommeil (De la Iglesia et al. 2015) chez deux communautés de chasseurs-cueilleurs Toba/Qom vivant actuellement dans le Chaco argentin. Ces deux communautés partageaient les mêmes antécédents ethniques et socioculturels, mais l’une d’entre elles a eu accès à l’électricité tandis que l’autre vivait exclusivement de la lumière naturelle. Les chercheurs ont enregistré l’alternance sommeil-éveil par actimétrie (enregistrement des mouvements corporels par un bracelet ce qui permet de caractériser précisément les alternances veille-sommeil au cours de la journée) pendant une semaine en été et une semaine en hiver. L’étude a montré que les participants ayant accès à la lumière électrique avaient des périodes de sommeil quotidiennes plus courtes que ceux vivant dans des conditions de lumière naturelle et ceci aussi bien l’été que l’hiver. (les participants ayant accès à la lumière artificielle se couchent et s’endorment plus tard, mais se réveillent à la même heure que les participants sans accès à la lumière artificielle). Les deux groupes ont dormi plus longtemps en hiver (quand les nuits sont plus longues) qu’en été.
De façon générale, plusieurs chercheurs soulignent que la présence de la lumière électrique pendant la nuit s’associe à des altérations du sommeil. Il a été démontré que la lumière naturelle mais aussi artificielle a des effets sur la production d’hormones (comme la mélatonine) impliquées dans le rythme veille-sommeil. Ces phénomènes sont documentés à l’échelle moléculaire et cellulaire. Ainsi, l’exposition à la lumière artificielle – qui prolonge la lumière solaire, comme si elle était un “soleil artificiel” qui brille encore pendant la soirée et éventuellement la nuit – interfère avec ces mécanismes cellulaires et avec la biochimie du sommeil, par exemple en agissant sur la production de mélatonine, « l’hormone de l’endormissement ». La lumière artificielle stimule également les cellules cérébrales associées à la vigilance. Et ces effets peuvent se combiner pour réduire l’envie de dormir pendant les heures du soir. La lumière agit ainsi à différents niveaux : en augmentant l’éveil, en retardant la production de mélatonine et en retardant ainsi l’apparition du sommeil. (Stevens & Zhou, 2015 ; Chang et al. 2015).
Les études expérimentales visant à vérifier l’hypothèse de l’impact de la lumière sur le sommeil soulèvent des questions éthiques. C’est pourquoi, jusqu’à présent, elles ont été faites chez les adultes et pas chez les enfants ou les adolescents. Elles ont été recensées dans une revue systématique de la littérature réalisée en 2018 (Tähkämö et al., 2019). Les auteurs de la revue ont identifié 128 études mais n’en ont retenu que 15 pour leur analyse, ayant rejeté toutes celles conduites avec des petits échantillons de 10 sujets ou moins. Sur les 15, 13 études portaient sur les effets de la lumière sur la production de mélatonine et 2 études sur le sommeil REM. Leurs conclusions sont qu’une exposition de 2 heures à la lumière (460 nm) le soir supprime la sécrétion de la mélatonine : l’effet maximal de suppression de la mélatonine par l’exposition à la lumière est obtenu aux longueurs d’onde courtes (424 nm). La sécrétion de mélatonine se rétablit dans les 15 minutes après la fin de l’exposition : un flash lumineux aurait donc le pouvoir de bloquer la sécrétion de mélatonine pendant 15 minutes. Cela suggère un impact à court terme de l’exposition à la lumière, mais pas nécessairement sans conséquences sur le sommeil.
Il existe plusieurs raisons de prudence même dans le cas de cette revue de la littérature, du fait de la qualité des études qu’elle analyse et qui se basent souvent sur des échantillons réduits et ne déclarent pas parfois toutes les conditions de l’expérimentation.
Cependant, compte tenu des connaissances disponibles (études neurophysiologiques, observationnelles, etc.) l’influence de l’exposition à la lumière sur le sommeil est largement acceptée et peut être considérée consensuelle auprès des experts du sommeil.
Est-ce qu’il y a une particularité liée à la lumière bleue des écrans et de certaines lampes (LED) ?
Les diodes électroluminescentes (ou LED) sont maintenant très répandues : elles sont présentes dans de nombreux objets de notre quotidien, comme les écrans. Les LED ont une composante en lumière bleue particulièrement forte. Certains considèrent que cette lumière des écrans et des LED serait plus nocive que d’autres formes de lumière. Une hypothèse est que les longueurs d’ondes courtes auraient un impact plus important sur la suppression de la sécrétion de la mélatonine, effet pouvant être différent chez l’enfant et chez l’adulte et d’un individu à un autre. Les études, peu nombreuses dans tous les cas, utilisent des mesures différentes des effets présumés de la lumière: certaines se basent sur des questionnaires d’auto-évaluation de la somnolence ou de l’heure du coucher, d’autres sur des EEG (Schecter et al., 2020).
En 2019, la Cochrane Foundation – une organisation bénévole qui produit des méta-analyses dans le domaine de la santé selon des standards particulièrement rigoureux – a réalisé une revue de la littérature concernant les effets des lumières bleues sur les performances visuelles, la dégénérescence maculaire liée à l’âge et pour ce qui nous intéresse plus particulièrement : le cycle veille-sommeil (Downie et al., 2019). Plus en particulier, la revue a analysé les études concernant les effets de certaines lunettes qui filtrent les radiations lumineuses bleues (lunettes teintées orange-rouge). Ces lunettes sont largement commercialisées pour, est-il prétendu, combattre les effets néfastes de la lumière bleue. L’analyse de la littérature n’a mis aucun effet mis en évidence. Si le port de lunettes a semblé bénéficier à des sujets qui se déclarent souffrant d’insomnie (ils évaluent les effets positifs perçus sur le sommeil sur une échelle de 1 à 10) ceci ne semble pas être le cas pour des sujets qui ne se plaignent pas au début de l’étude un trouble insomniaque. Mais l’analyse ne permet pas d’exclure un rôle de la lumière bleue sur le sommeil (voir aussi : Lawrenson et al. 2017 et Schecter et al. 2020).
Une étude expérimentale conduite sur 14 sujets a comparé les effets d’une lecture du soir effectuée sur tablette (lumière bleue) et la même lecture réalisée sur un livre classique (Rangtell et al. 2016). Les chercheurs ont enregistré la production de mélatonine ainsi que la somnolence avant et après la nuit de sommeil. La semaine suivante, les mêmes critères ont été mesurés, mais en inversant les conditions (les lecteurs qui avaient lu sur tablettes lisaient sur papier et vice versa). Aucune différence n’a été remarquée. Mais les participants avaient été exposés à une lumière intense pendant 6,5 heures avant la phase de lecture, ce qui peut constituer une condition qui annule les effets de la lumière bleue par la suite. D’autres études expérimentales ont pu mettre en évidence l’effet retardant de la lumière émise par la tablette sur l’heure d’endormissement par rapport à l’effet de la lecture d’un livre sur papier, associé à un retardement dans la production de mélatonine et dans la quantité de mélatonine produite – par exemple : Chang et al., 2015 ; Chinoy et al., 2018, respectivement sur la base de l’observation de 12 et de 9 sujets. Les conclusions imposent donc prudence et sont plutôt suggestives de nécessité d’études ultérieures que porteuse de conclusions affirmées.
Chang, A. M., Aeschbach, D., Duffy, J. F., & Czeisler, C. A. (2015). Evening use of light-emitting eReaders negatively affects sleep, circadian timing, and next-morning alertness. Proceedings of the National Academy of Sciences, 112(4), 1232-1237. Chinoy, E. D., Duffy, J. F., & Czeisler, C. A. (2018). Unrestricted evening use of light‐emitting tablet computers delays self‐selected bedtime and disrupts circadian timing and alertness. Physiological reports, 6(10). De La Iglesia, H. O., Fernández-Duque, E., Golombek, D. A., Lanza, N., Duffy, J. F., Czeisler, C. A., & Valeggia, C. R. (2015). Access to electric light is associated with shorter sleep duration in a traditionally hunter-gatherer community. Journal of biological rhythms, 30(4), 342-350. Downie, L. E., Keller, P. R., Busija, L., Lawrenson, J. G., & Hull, C. C. (2019). Blue‐light filtering spectacle lenses for visual performance, sleep, and macular health in adults. The Cochrane Database of Systematic Reviews, 2019(1). Fonken, L. K., & Nelson, R. J. (2014). The effects of light at night on circadian clocks and metabolism. Endocrine reviews, 35(4), 648-670. Hale, L., Kirschen, G. W., LeBourgeois, M. K., Gradisar, M., Garrison, M. M., Montgomery-Downs, H., … & Buxton, O. M. (2018). Youth screen media habits and sleep: sleep-friendly screen behavior recommendations for clinicians, educators, and parents. Child and Adolescent Psychiatric Clinics, 27(2), 229-245. Higuchi, S., Motohashi, Y., Liu, Y., & Maeda, A. (2005). Effects of playing a computer game using a bright display on presleep physiological variables, sleep latency, slow wave sleep and REM sleep. Journal of sleep research, 14(3), 267-273. Lawrenson, J. G., Hull, C. C., & Downie, L. E. (2017). The effect of blue‐light blocking spectacle lenses on visual performance, macular health and the sleep‐wake cycle: a systematic review of the literature. Ophthalmic and Physiological Optics, 37(6), 644-654. Rångtell, F. H., Ekstrand, E., Rapp, L., Lagermalm, A., Liethof, L., Búcaro, M. O., … & Benedict, C. (2016). Two hours of evening reading on a self-luminous tablet vs. reading a physical book does not alter sleep after daytime bright light exposure. Sleep medicine, 23, 111-118. Shechter, A., Quispe, K. A., Mizhquiri Barbecho, J. S., & Falzon, L. (2020). 0172 Blue-Light Blockers and Sleep: A Meta-Analysis of Intervention Studies. Sleep, 43(Supplement_1), A68-A69. Stevens, R. G., & Zhu, Y. (2015). Electric light, particularly at night, disrupts human circadian rhythmicity: is that a problem? Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 370(1667), 20140120. Tähkämö, L., Partonen, T., & Pesonen, A. K. (2019). Systematic review of light exposure impact on human circadian rhythm. Chronobiology international, 36(2), 151-170.
En conclusion, concernant la question des écrans et du sommeil
En France, le Haut Conseil de la Santé publique – dans son Avis relatif aux effets de l’exposition des enfants et des jeunes aux écrans, publié en 2019 – affirme que “Le niveau de preuve associant l’exposition aux écrans et le sommeil (durée et qualité) est élevé. Les effets des écrans sur le sommeil représentent un des champs les plus investigués par les recherches, tant sur le plan physiologique que psychologique. L’effet néfaste des écrans sur le sommeil n’est plus à démontrer. L’usage des médias, quel que soit le média, que ce soit juste avant de dormir, mais aussi un usage journalier >2h après l’école sur chaque support ou 4h en tout, entraîne significativement une latence d’endormissement 60 min et un déficit en sommeil 2h. La latence d’endormissement est plus grande et le temps total de sommeil est plus faible chez ceux qui utilisent au moins 4 écrans comparés à ceux qui n’en utilisent qu’un seul. Les effets apparaissent après deux heures ou plus d’utilisation par jour et deviennent de plus en plus importants au fur et à mesure que les heures d’utilisation augmentent (réduction de 35% de temps total de sommeil rapportée par les jeunes pour 2h d’écran, et de 52% de réduction pour 5h et plus).”
Ce paragraphe témoigne d’une préoccupation du monde médical et de santé publique par rapport à la relation entre écrans et sommeil.
Aujourd’hui nous disposons d’un petit nombre de revues de la littérature et de méta-analyses qui documentent l’existence d’une association entre manque de sommeil et usage des écrans. Si ces études montrent un lien, elles ne démontrent pas une relation de cause à effet. Les études émettent et testent d’ailleurs plusieurs hypothèses sur la façon dont les écrans pourraient agir sur le sommeil. Mais pour l’instant, une cause principale n’émerge pas. D’autres questions restent ouvertes : de combien le sommeil est-il raccourci chez les utilisateurs d’écrans par rapport au reste de la population ? Et si le reste de la population dort moins que les durées recommandées, quelles en sont les causes, en dehors donc de l’utilisation d’écrans ?
Les méthodes par lesquelles la science s’efforce de mesurer de la manière la plus objective possible les facteurs qui influencent notre sommeil – sa quantité et sa qualité – sont multiples. Mais elles doivent s’adapter à des contraintes de plusieurs ordres, les conséquences étant que des preuves solides sont difficiles à obtenir.
Les effets du manque de sommeil (dette) sont cependant certainement à redouter, vu l’importance que le sommeil revêt pour notre santé et notre bon fonctionnement physique, cognitif et mental.
Ces effets néfastes, indésirables – non seulement pour l’individu, mais aussi pour la santé publique – sont préoccupants. Organiser leur prévention est une nécessité. Plus nous en saurons sur les facteurs qui réduisent la durée optimale de sommeil pour chacun ou troublent sa qualité, mieux nous pourrons agir pour les contrôler et réduire leurs effets.
AUTRES RÉFÉRENCES UTILES
INSERM, Chronobiologie (Dossier réalisé en collaboration avec Claude Gronfier, Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL), équipe Waking, unité Inserm 1028, Université Claude Bernard Lyon I (UCBL) Faculté de médecine Rockefeller) –
https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/chronobiologie
INSERM, Sommeil (Dossier réalisé en collaboration avec Pierre-Hervé Luppi, responsable de l’équipe Physiopathologie des réseaux neuronaux du cycle sommeil du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon (Unité Inserm 1028)) – https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/sommeil
Voir également :
Adès, J., Agid, Y., Bach, J. F., Barthélémy, C., Bégué, P., Berthoz, A., … & Tisseron, S. (2019). Rapport 19-04. L’enfant, l’adolescent, la famille et les écrans: appel à une vigilance raisonnée sur les technologies numériques. Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 203(6), 381-393.
Haut Conseil de la santé publique (2019). AVIS du Haut Conseil de la santé publique Relatif aux effets de l’exposition des enfants et des jeunes aux écrans. file:///Users/elena/Downloads/hcspa20191212_effedelexpodesenfaetdesjeunauxcr%20(4).pdf
Haut Conseil de la santé publique (2019). Rapport du Haut Conseil de la santé publique. Les effets de l’exposition des enfants et des jeunes aux écrans. https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=759
Société Française de Pédiatrie, L’enfant et les écrans : les recommandations du Groupe de pédiatrie générale, 2018, à Picherot, G., Cheymol, J., Assathiany, R., Barthet-Derrien, M. S., Bidet-Emeriau, M., Blocquaux, S., … & Foucaud, P. (2018). L’enfant et les écrans: les recommandations du Groupe de pédiatrie générale (Société française de pédiatrie) à destination des pédiatres et des familles. Perfectionnement en Pédiatrie, 1(1), 19-24.
Paroles de scientifiques
Pourquoi dormons-nous ?
Interview réalisée par Anne Bernard-Delorme, mai 2020
Diego Golombek est un biologiste argentin, professeur de l’Universidad Nacional de Quilmes où il dirige le laboratoire de chronobiologie, et chercheur au Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Tecnológicas (CONICET).
En France, l’Institut national du sommeil et de la vigilance a intégré la journée mondiale du sommeil au niveau national depuis 2000. En dehors de cette journée, des messages et des recommandations concernant le sommeil sont diffusés fréquemment. Pourtant, un problème « sommeil » persiste durablement dans notre société. Pour vous qui êtes un chercheur spécialiste de chronobiologie, voici nos questions !
Pourquoi dormir, quand dormir et combien de temps dormir ?
A vos trois questions, voici mes trois réponses. Nous ne savons pas, nous ne savons pas et nous ne savons pas. Mais nous avons tout de même quelques indices !
Pourquoi dormons-nous ?
- Dormir est aussi vital que manger ou boire
Le sommeil est vital, il est nécessaire à la vie. Des expériences déjà anciennes ont montré que des animaux de laboratoire ne survivent pas à une privation de sommeil de plus de deux semaines. Oui, c’est la même durée de survie que si on les prive de boire et de manger !
Ce n’est pas seulement le manque de repos : pendant le sommeil, notre cerveau est très actif, il se répare, se développe, guérit ses blessures, renforce la mémoire, etc.
Chez les humains, le record de privation de sommeil est d’environ 11 jours… avec des conséquences qui s’aggravent progressivement sur le plan de la santé mentale et du métabolisme. On ne récupère pas complètement d’une privation chronique de sommeil.
- Le manque de sommeil affecte les processus cognitifs
Le rôle du sommeil dans l’apprentissage et la mémoire est amplement prouvé : après une bonne nuit, les souvenirs sont consolidés dans la mémoire. Par conséquent, pour préparer un examen, c’est beaucoup mieux de dormir que de rester réveillé toute la nuit pour réviser.
- Le fœtus dort, on le sait, et peut-être même rêve-t-il.
L’organisation du cycle veille/sommeil continue pendant la période néonatale, guidée par l’horloge biologique interne, la présence de la mère et d’autres signaux de l’environnement.
Chez le nourrisson d’environ 7 mois, la composante circadienne (d’environ 24 heures) du cycle veille/sommeil se renforce, mais, je le répète, la famille continue à jouer un rôle important.
- Tous les animaux dorment
Tous les animaux dorment, même les invertébrés, quoique la définition du sommeil puisse être différente d’une espèce à l’autre. Il n’est pas possible, bien sûr, de faire des enregistrements des cycles du sommeil dans nombre d’espèces. Les chercheurs définissent en général les longues périodes de repos comme étant du « sommeil ».
Il y a même des preuves que pendant le sommeil de beaucoup d’animaux, et pas seulement chez les mammifères, surviennent des périodes que l’on peut qualifier de rêve.
Peut-on parler de sommeil chez les insectes ?
La diversité des insectes et de leur mode de vie est incroyable. Cependant, ils prennent tous du temps pour se reposer.
Les chercheurs ont observé dans la nature et en laboratoire que les insectes passent une grande partie de leur temps sans activité.
La plupart de ces périodes inactives ont des ressemblances avec le sommeil des vertébrés.
En effet, pendant ces périodes :
-comme d’autres animaux qui prennent une position particulière en dormant (couché, recroquevillé, debout, sur une patte), les insectes adoptent une posture immobile et particulière : l’abeille pose ses antennes contre sa tête ; le papillon replie ses ailes, ses antennes en arrière;
-de même que certains animaux dorment le jour et d’autres la nuit, certains insectes, comme les papillons de nuit, se reposent le jour et sont actifs la nuit pour se nourrir lorsque les oiseaux, leurs prédateurs, dorment. D’autres insectes se reposent la nuit : les abeilles doivent se reposer la nuit puisque certaines fleurs qu’elles butinent se ferment à l’obscurité;
-dans leurs moments d’inactivité, les insectes sont moins sensibles aux perturbations de l’environnement. On peut les surprendre ou même les attraper plus facilement;
-si on prive les insectes de sommeil, leur comportement change. Pendant la journée qui suit, ils sont beaucoup plus longtemps inactifs, ils récupèrent. Mais ce temps de récupération a des conséquences : ils repèrent moins bien leurs hôtes, leurs proies et leurs prédateurs ; ils « travaillent » moins, ils butinent moins par exemple… ; leur espérance de vie est diminuée.
Les temps de sommeil, ou repos, des insectes sont indispensables à leur vie.
Le sommeil des insectes est régulé notamment par leur système nerveux*, dont une horloge circadienne, ainsi que par des facteurs génétiques et métaboliques.
*Le système nerveux des insectes est constitué d’une chaine de ganglions, reliés entre eux par des cordons nerveux ; certains ganglions ont fusionné pour former des structures plus volumineuses. Les ganglions cérébroïdes, qui constituent le « cerveau » des insectes, sont constitués de 3 paires de ganglions logés dans la tête.
- Le sommeil est la fabrique du rêve
Oui, le sommeil comporte aussi cette caractéristique merveilleuse et mystérieuse : le rêve. Et le mystère est vraiment profond : chacun d’entre nous rêve (bien que personne ne se souvienne de ses propres rêves), mais nous ne savons toujours pas ce que cela signifie.
Les bébés et les jeunes enfants « rêvent » beaucoup, peut-être parce qu’ils recréent ce qui s’est passé pendant la journée, phénomène qui pourrait être relié à des mécanismes d’apprentissage.
Nous rêvons 4 à 5 fois chaque nuit. Quand on regarde quelqu’un qui dort, on peut observer des mouvements rapides des paupières ; si on réveille la personne juste à ce moment-là, il est très probable qu’elle pourra nous raconter ce dont elle rêvait précisément à cet instant.
Quand dormons-nous ?
- Nous dormons la nuit
L’espèce humaine est une espèce diurne. Lentement au cours de l’évolution, nous—et peut-être encore avant nos ancêtres—nous nous sommes adaptés à la lumière du jour et à la sécurité qu’elle procure pour nos activités (manger, chasser ensemble, se réunir), et à l’obscurité de la nuit pour notre repos dans des lieux sûrs (comme les grottes).
Toute notre physiologie s’est calquée sur le cycle solaire, avec des fonctions diurnes et fonctions nocturnes, ce qui peut être considéré comme une caractéristique « économique ». Selon notre répartition géographique, nous nous sommes également adaptés aux différences d’ensoleillement selon les saisons, spécialement aux latitudes extrêmes (comme la Finlande). Des expériences récentes montrent que notre comportement et notre physiologie gardent des traces de dépendance saisonnière ancienne, même si aujourd’hui la vie urbaine tend à brouiller les rythmes saisonniers.
- L’éclairage électrique, un ennemi de notre horloge circadienne
Depuis relativement peu de temps (fin du 19e siècle), est apparu un terrible ennemi de notre horloge circadienne. Cet ennemi, c’est la lumière électrique ! Son inventeur et promoteur, Thomas Edison, « fatigué de la tyrannie du sommeil » a voulu s’en débarrasser.
Oui, la lumière électrique a fait diminuer la durée totale de notre sommeil et augmenter nos heures de travail.
- Les nouveaux modes d’éclairages, LED, ne font qu’empirer la situation
Le passage aux ampoules LED n’a fait qu’empirer la situation. Nous ne dormons plus seuls ! Les écrans LED sont partout, télévisions, téléphones, tablettes, etc. La lumière des LED affecte notre horloge biologique en la trompant jusque tard dans la nuit : nous dormons moins et moins profondément. Mon équipe et d’autres ont comparé le sommeil de sociétés sans lumière électrique et de sociétés avec lumière électrique : il est clair que la lumière électrique a pour conséquence une diminution des heures de sommeil par nuit.
- Des différences dans le sommeil des uns et des autres
Nous avons tous une horloge biologique dans le cerveau. Elle dit au corps quelle heure il est et elle agit comme un chef d’orchestre en synchronisant les différents rythmes dans l’organisme. Cependant, le timing de ces horloges varie selon les individus, allant des « alouettes » du matin aux « hiboux » du soir. C’est ce qu’on appelle des chronotypes.
Un chronotype combine des facteurs endogènes, sociaux et environnementaux ; il se modifie au cours de l’existence, les adolescents étant plutôt des « hiboux » et les personnes âgées étant plutôt matinales.
- Les adolescents ont des horaires différents de ceux de l’enfant et de ceux de l’adulte : aménager les horaires d’enseignement au collège et au lycée
Regardons le retard de l’horloge biologique des adolescents. Nous savons tous qu’ils ont tendance à faire beaucoup de choses tard dans la nuit et qu’ils croient que c’est simplement une caractéristique culturelle. Oui, cela l’est, mais cela dépend également des contraintes biologiques imposées par le fait que les aiguilles de leur horloge biologique pointent vers les heures tardives. Cela ne poserait pas de problème particulier, sauf que les horaires de lycées commencent généralement tôt le matin et que les élèves sont, disons, endormis.
Plusieurs essais à travers le monde ont démontré que retarder l’heure de début des cours a pour résultat des élèves de meilleure humeur, en meilleure santé et avec de meilleurs résultats.
Combien de temps dormons-nous, combien de temps devrions-nous dormir ?
Des adultes accueillis dans un laboratoire de recherche sur le sommeil auxquels on demande de dormir aussi longtemps qu’ils le souhaitent, dorment en moyenne 8h1/2. Mais ces conditions sont évidemment très loin de celles de la vie réelle.
Les adultes ont besoin d’au moins 7 heures de sommeil, et les adolescents pas moins de 8 heures. Les enfants devraient avoir au moins 9 heures de sommeil par nuit.
- Nos modes de vie réduisent notre temps de sommeil : c’est préjudiciable
Nos sociétés valorisent les longues soirées et les dîners tardifs. Les spectacles à la télévision ou en streaming sur nos ordinateurs envahissent nos chambres, ils nous volent de précieuses heures de sommeil.
Les conséquences de cette privation chronique sont diverses, allant de la somnolence diurne, des changements d’humeur jusqu’à des troubles métaboliques, cognitifs et autres.
- Les conditions socio-économiques (la pauvreté, la promiscuité, le bruit…) ont un effet sur la quantité de sommeil et sur sa qualité
L’environnement dans lequel nous dormons est crucial : l’idéal est de réunir obscurité, silence, fraîcheur de la pièce.
La pauvreté et la surpopulation réduisent les chances d’un bon sommeil et augmentent les difficultés sociales et sanitaires.
Nous devons éduquer la société en insistant sur les bénéfices du sommeil. Contrairement à ce qu’on croit généralement, dormir n’est pas « éteindre » notre organisme. Le sommeil est vital pour nous et tout notre fonctionnement. Une société qui n’accorde pas d’importance au sommeil, qui ne reconnaît pas l’importance du sommeil fait face à des problèmes de productivité, d’éducation, de santé qu’elle pourrait éviter. La réduction du temps de sommeil est une question de santé publique.
Une dernière question… Au fond, chacun sait que le sommeil est très important. Mais alors pourquoi est-ce si difficile d’adopter des façons de vivre en accord avec ce savoir ?
Nous avons tous quelque chose en commun : nous dormons, tous.
Nous pourrions donc tous devenir des « scientifiques du sommeil ».
Nous pourrions commencer nos recherches en observant nos cycles de sommeil et ceux de notre entourage proche, famille, amis, animaux domestiques et en notant nos observations dans un carnet de sommeil.
Tenir un journal « sommeil » est la première étape : reporter nos heures d’éveil, de sommeil (incluant les siestes), sept jours sur sept, afin d’explorer notre régularité, nos horaires et notre efficacité.
La mise en évidence d’une différence entre les jours de semaine et le weekend peut être considérée comme une fenêtre nous permettant de voir ce qu’on peut appeler le « jetlag social », c’est à dire la distance entre nos horloges internes et les contraintes externes.
Le sommeil est une icône culturelle : mettre en évidence des différences entre différents types de sociétés pourrait nous éclairer sur ce besoin ancestral.
Nous pourrions tous, grâce à cette recherche participative, contribuer à informer et à faire prendre conscience de l’importance du sommeil.
Quelques publications de Diego Golombek
- Tortello, C., Agostino, P. V., Folgueira, A., Barbarito, M., Cuiuli, J. M., Coll, M., … & Vigo, D. E. (2020). Subjective Time Estimation in Antarctica: The impact of extreme environments and isolation on a time production task. Neuroscience Letters, 134893.
- Diez, J. J., Plano, S. A., Caldart, C., Bellone, G., Simonelli, G., Brangold, M., … & Vigo, D. E. (2020). Sleep misalignment and circadian rhythm impairment in long-haul bus drivers under a two-up operations system. Sleep health.
- Diaz Costanzo, G., & Golombek, D. (2020). The quest for scientific culture. Journal of Science Communication, 19(1), R01.
- Acosta, J., Bussi, I. L., Esquivel, M., Höcht, C., Golombek, D. A., & Agostino, P. V. (2020). Circadian modulation of motivation in mice. Behavioural Brain Research, 382, 112471.
- Laje, R., Agostino, P. V., & Golombek, D. A. (2018). The times of our lives: interaction among different biological periodicities. Frontiers in Integrative Neuroscience, 12, 10.
- Tortello, C., Barbarito, M., Cuiuli, J. M., Golombek, D. A., Vigo, D. E., & Plano, S. A. (2018). Psychological adaptation to extreme environments: Antarctica as a space analogue.
- Plano, S. A., Casiraghi, L. P., García Moro, P., Paladino, N., Golombek, D. A., & Chiesa, J. J. (2017). Circadian and metabolic effects of light: implications in weight homeostasis and health. Frontiers in neurology, 8, 558.
- Leone, M. J., Slezak, D. F., Golombek, D., & Sigman, M. (2017). Time to decide: Diurnal variations on the speed and quality of human decisions. Cognition, 158, 44-55.
- De la Iglesia, H. O., Moreno, C., Lowden, A., Louzada, F., Marqueze, E., Levandovski, R., … & Czeisler, C. A. (2016). Ancestral sleep. Current biology: CB, 26(7), R271.
- De La Iglesia, H. O., Fernández-Duque, E., Golombek, D. A., Lanza, N., Duffy, J. F., Czeisler, C. A., & Valeggia, C. R. (2015). Access to electric light is associated with shorter sleep duration in a traditionally hunter-gatherer community. Journal of biological rhythms, 30(4), 342-350.
- Golombek, D. A., Bussi, I. L., & Agostino, P. V. (2014). Minutes, days and years: molecular interactions among different scales of biological timing. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 369(1637), 20120465.
- Cermakian, N., Lange, T., Golombek, D., Sarkar, D., Nakao, A., Shibata, S., & Mazzoccoli, G. (2013). Crosstalk between the circadian clock circuitry and the immune system. Chronobiology international, 30(7), 870-888.
- Golombek, D. A., & Rosenstein, R. E. (2010). Physiology of circadian entrainment. Physiological reviews, 90(3), 1063-1102.
- Golombek, D. A., & Cardinali, D. P. (2008). Mind, brain, education, and biological timing. Mind, Brain, and Education, 2(1), 1-6.
MéMé tonpyj - Un projet de recherche appliquée pour aider les enfants à mieux comprendre le sommeil et ses bienfaits
Nous vous présentons un projet éducatif et de recherche sur le sommeil, créé par des chercheurs et des professeurs des écoles. Amandine Rey, maître de conférences, Université Lyon 1, Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon CRNL, équipe Neuropain, nous décrit le projet, ses objectifs et ses résultats. Sachez d’emblée que tout le matériel pédagogique (fiches d’activités, vidéos, bandes dessinées) est en libre accès sur le site Mémé Tonpyj.
Interview réalisée par Anne Bernard-Delorme, août 2020
Pourquoi monter un projet éducatif sur le sommeil, destiné aux enfants ?
On estime qu’environ un tiers des enfants et des adolescents dorment mal ou pas assez. Le constat que le sommeil de leurs élèves n’est pas suffisant et n’est pas de bonne qualité est partagé par un grand nombre d’enseignants. Comment aborder la thématique du sommeil à l’école, avec les élèves ? C’est justement cette question d’enseignants qui est à l’origine de notre projet. Les enseignants qui ont pris contact avec nous ont expliqué ne pas pouvoir approfondir ce thème, en raison du manque d’informations et surtout du manque de matériel adapté à la classe. Pourtant le sommeil fait partie des thèmes présents dans le cadre de l’éducation à la santé !
La sensibilisation au sommeil est l’objet de nombreuses initiatives qui passent souvent par des conférences destinées aux parents. Mais leurs effets sont souvent limités dans le temps car les familles, mêmes si elles sont volontaires et investies, sont souvent rattrapées par les contraintes du quotidien. Pourtant, les enfants sont à même de modifier leurs comportements à partir du moment où ils comprennent l’impact que ceux-ci peuvent avoir sur leur santé. Par conséquent, le programme ENSOM (‘EN’ pour ENfant et SOM pour SOMmeil) a été conçu pour permettre aux élèves, en classe de comprendre l’importance du sommeil et d’adopter de bons comportements vis à vis de leur sommeil. Le public des élèves de CP, CE1, CE2 a été tout naturel puisque le sommeil est au programme en éducation à la santé au Cycle 2.
Il faut savoir qu’un grand nombre de travaux de recherche s’intéressent à l’impact des habitudes de sommeil sur les apprentissages (horaires et durée de sommeil, utilisation d’écrans…). Ils mettent notamment en évidence le rôle du sommeil sur l’attention, la concentration et la consolidation des informations apprises au cours de la journée. D’autres travaux portent sur des pathologies du sommeil chez l’enfant (citons certains troubles de sommeil qui ressemblent au trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité).
L’ensemble de ces considérations a abouti au programme « Apprendre le sommeil à l’école avec Mémé Tonpyj« , applicable en classe.
Qui sont les membres du projet?
Le développement et l’évaluation du programme a bénéficié d’une collaboration multidisciplinaire entre des enseignants du primaire dans l’académie de Lyon, des chercheurs en sciences cognitives de l’Université Lyon 1, des médecins pédiatres de l’Hôpital Femme Mère Enfant (Hospices civils de Lyon) et des dessinateurs de l’école d’art Émile Cohl à Lyon. La collaboration entre le monde de l’éducation et un laboratoire de recherche garantissait que les contenus du projet reposaient sur des connaissances scientifiques solides dans le domaine du sommeil et permettait d’aborder des problématiques de recherche appliquée.
Bien entendu, la collaboration a impliqué parents et enfants, tous volontaires.
Avec Stéphanie Mazza (professeure des universités au laboratoire de santé publique HESPER) qui est co-créatrice du programme, nous travaillons sur le rôle du sommeil dans l’apprentissage chez l’enfant. Nos sujets de recherche, fondamentale et appliquée, impliquent les domaines de la psychologie cognitive, de la neurophysiologie et de l’éducation. Nous travaillons notamment sur l’impact des troubles du sommeil sur la capacité de mémorisation des enfants en explorant les marqueurs électrophysiologiques de la consolidation des informations en mémoire pendant le sommeil. Nous menons en parallèle des projets d’éducation à la santé, le but étant de contribuer au transfert des connaissances acquises par les laboratoires de recherche vers des applications concrètes dans les écoles.
Comment le projet ENSOM est-il né ?
Le programme d’éducation au sommeil fait partie d’ENSOM qui est un large projet visant à comprendre le lien entre sommeil et apprentissages et qui a bénéficié du soutien de l’Agence Nationale de la Recherche.
C’est à la suite de conférences que nous avons données dans des écoles primaires que l’idée d’un projet collaboratif est née, les enseignants ayant formulé le souhait d’avoir un outil spécifique leur permettant de travailler la thématique du sommeil dans le cadre de l’éducation à la santé.
Le projet est donc réellement une co-construction du monde de l’éducation et du monde de la recherche. Les enseignants qui ont participé au programme étaient tous volontaires ; aucun d’eux n’avait reçu de formation spécifique sur le sommeil.
Il était important que le projet soit « appétissant » pour les élèves et clé en main pour les enseignants. La collaboration avec l’école Émile Cohl a été, à cet égard, un point clé et une originalité. Les dessinatrices ont fait des recherches pour déterminer le support le mieux adapté à un public d’élèves de l’école primaire. Elles ont finalement opté pour la bande dessinée pour présenter le contenu pédagogique de manière ludique. Elles ont également élaboré une mascotte, la tortue Mémé Tonpyj, pour que les élèves puissent suivre ses aventures au cours des différentes leçons. Elles ont également créé de courts dessins animés, utilisés par l’enseignant comme rituel en début de leçon, et permettant de souligner les points importants qui sont abordés au cours de la leçon du jour.
Comment la collaboration chercheur-enseignant s’est-elle structurée ?
La collaboration entre chercheurs, enseignants, les enfants et leurs familles, est au cœur de notre programme. Les enseignants ont œuvré à la construction des ressources et des séances pédagogiques dans le cadre du socle commun de connaissances, de compétences et de culture de l’Éducation Nationale ; ils ont notamment veillé à la faisabilité du programme et à son adaptation en classe. Les chercheurs ont dégagé les notions essentielles sur le sommeil à transmettre aux élèves par l’enseignant ; ils ont veillé à ce que le contenu soit basé sur des connaissances scientifiquement établies (notamment celles utilisées dans la prise en charge des personnes ayant des troubles du sommeil) et qu’il puisse engager l’enfant vers un changement de comportement.
À l’inverse des programmes d’éducation au sommeil que nous avions recensés dans la littérature internationale, le programme ENSOM a été construit de manière à permettre à tous les enseignants qui le souhaitent de conduire les séances pédagogiques de manière autonome, sans avoir recours à l’intervention d’un chercheur ou d’un spécialiste, tout en étant assurés que le contenu est validé scientifiquement.
Comment avez-vous évalué l’impact de l’éducation au sommeil ENSOM ?
Il était essentiel pour nous de mesurer objectivement l’effet du programme ENSOM sur le sommeil et les performances scolaires des enfants.
Pour évaluer le sommeil des enfants, nous avons réalisé des mesures objectives par actimétrie (les élèves portaient des actimètres au poignet, bracelets qui mesurent les périodes d’activité et de repos) et nous avons recueilli les informations notées par les élèves dans leurs « agendas du sommeil », avec l’aide de leurs enseignants et de leurs parents (ceci impliquait que les enseignants vérifiaient, tous les matins de classe, que les élèves complétaient bien leur agenda du sommeil).
Pour évaluer les performances cognitives des enfants, nous avons fait des tests mesurant les fonctions exécutives et les capacités d’attention soutenue et de mémoire ; nous avons également pris en compte les résultats scolaires. Les enfants, par petits groupes, ont passé des tests cognitifs, sous la supervision d’une chercheuse, pendant les temps de classe, dans une salle de l’école autre que la salle de classe, ceci à 5 reprises au cours de l’année.
Comme le programme a été créé pour que les enseignants puissent le réaliser de manière autonome dans leur classe, les enseignants qui avaient participé à sa création et qui étaient donc devenus « experts du sommeil » n’ont participé ni à sa réalisation en classe, ni à son évaluation. Les cinq enseignants « naïfs » qui ont évalué le programme avaient eu bien sûr tout le matériel nécessaire à leur disposition pour réaliser le programme avec leurs élèves sans l’intervention de chercheurs.
L’évaluation a permis de valider le fait que ce programme a un impact bénéfique sur la durée et la qualité de sommeil ainsi que sur les performances cognitives et académiques, avec des résultats similaires dans les 5 classes qui ont participé à l’évaluation du programme.
Quelques détails du programme
Le programme a concerné 130 élèves, CP, CE1, CE2, dans 5 classes différentes. Tous les élèves, leurs parents et leurs enseignants étaient volontaires.
Les mesures décrites plus haut ont été réalisées à 5 reprises :
– avant (T0) et après (T1) des leçons sur une thématique autre que le sommeil (condition contrôle),
– avant (T3) et après (T4) les leçons du programme d’éducation au sommeil (condition expérimentale),
– puis un an plus tard (T5).
L’expérimentation proprement dite a comporté 8 séances, de 45 à 50 minutes, pendant un mois, à raison de 2 séances par semaine. Ces séances ont été faites en classe, par les élèves avec leurs enseignants respectifs.
Les résultats du programme
Avant le début de l’étude, la majorité des enfants avaient une dette de sommeil.
Après le programme, les résultats montrent que les élèves :
– ont dormi plus longtemps : leur temps de sommeil a augmenté de plus de 30 minutes ;
– ont mieux dormi : la qualité de leur sommeil a été comparée à celle d’élèves qui avaient suivi un autre programme de santé qui ne portait pas sur le sommeil ;
– ont réalisé de meilleures performances aux tests d’attention soutenue, de contrôle inhibiteur et de flexibilité cognitive ;
– ont eu de meilleures performances académiques.
Pouvez-nous nous décrire le projet éducatif ?
La séquence « sommeil » se compose de 8 séances pédagogiques d’environ 45 minutes que les enseignants impliqués dans la création du projet ont structurées de la manière suivante :
- un petit dessin animé pour entrer en matière,
- quelques pages des bandes dessinées composent le contenu,
- un exercice,
- une anecdote sur le sommeil,
- un conseil,
- et une trace écrite.
Quatre thèmes (2 séances par thème) sont abordés :
- les rythmes du sommeil,
- les rôles du sommeil,
- les besoins de sommeil,
- les amis et les ennemis du sommeil.
A la fin de chaque séance, l’enseignant écrit les conseils sur le sommeil sur un poster affiché dans la classe.
Le programme n’impose jamais aux enfants une heure précise de coucher ou de lever, ni une durée de sommeil minimale, ni un changement d’habitudes.
Au fil du programme, les élèves se sentent de plus en plus encouragés à mettre en place de bons comportements vis à vis de leur sommeil tout en augmentant leurs connaissances et en se responsabilisant.
Télécharger la mallette complète avec les Fiches d’activité
Comment avez-vous mis votre programme et ses résultats à la disposition des chercheurs et des enseignants ?
Le travail réalisé a donné lieu, en février 2020, à une publication dans « Learning and Instruction », un journal scientifique international. Cet article donne tous les détails sur la mise en place, les méthodes et les résultats. Ceci permet la diffusion du programme et de ses résultats aux chercheurs et aux enseignants intéressés.
Une diffusion plus large à la communauté éducative et au grand public se fait par divers relais (voir par exemple l’article Bien dormir pour mieux apprendre paru dans la revue Sciences Humaines). Le programme d’éducation au sommeil a également été mis à disposition des enseignants par le service de formation du rectorat de notre académie, il a également été cité dans la mallette des parents données par le Ministère de l’Éducation Nationale.
Le programme Mémé Tonpyj est à l’origine en français, mais il est déjà traduit en anglais et le sera bientôt en portugais.
Avez-vous une estimation du nombre d’enseignants qui se sont intéressés à votre programme et ont effectué MéméTonpyj ?
Le programme est disponible en ligne depuis novembre 2018, il a été téléchargé par 5300 personnes (enseignants, infirmiers scolaires…). Certains enseignants/enseignantes nous ont contactées via l’adresse mail du projet (projet.ensom@gmail.com) ou les réseaux sociaux (Facebook, LinkedIn) pour nous dire qu’ils étaient ravis d’avoir trouvé cette initiative. Pour le moment nous n’avons pas de commentaires spécifiques, nous prévoyons de faire un petit sondage à l’automne 2020 afin d’en savoir plus sur l’utilisation du programme au sein des classes et les éventuelles améliorations à apporter.
Après le succès de ENSOM, avez-vous d’autres projets ?
Après le très bon accueil réservé au programme par les enseignants et les élèves ainsi que ses effets positifs sur les habitudes de sommeil des enfants, nous travaillons actuellement à la sensibilisation des adolescents. Un « défi sommeil », reposant bien entendu de nouveau sur la collaboration d’enseignants et de chercheurs, est en cours d’élaboration. Son expérimentation est prévue au cours de l’année scolaire 2020-2021.
Nous travaillons également avec les acteurs de la maternelle sur les rythmes des élèves dès leur entrée à l’école. Le sommeil est en effet important dès le plus jeune âge !
Références
- Mémé Ton Pyj
- Rey, A. E., Guignard-Perret, A., Imler-Weber, F., Garcia-Larrea, L., & Mazza, S. (2020). Improving sleep, cognitive functioning and academic performance with sleep education at school in children. Learning and Instruction, 65, 101270.
- Martin, C., Charles, R., & Rey, A. E. (2016). Déficit en sommeil de l’enfant scolarisé. Médecine thérapeutique/Pédiatrie, 1(1).
- Rey, A. & Mazza, S. Bien dormir pour mieux apprendre, Sciences humaines, Octobre 2019.
Pour aller plus loin
- Document de synthèse "Mieux dormir pour mieux apprendre" du Conseil scientifique de l’éducation nationale
- La boite à idées du CSEN
- "Mieux dormir pour mieux apprendre" conférence internationale du Conseil scientifique de l'Education Nationale (2022)
- [Vidéo] Fred, Explique moi ... Comment le sommeil nous aide à mieux apprendre ?