Un peu d’histoire
La métallurgie rend compte de l’ensemble des opérations qui consistent à extraire des minerais, à les purifier, les transformer et les mettre en forme pour leur utilisation finale (en fils, feuilles, lingots…). Son origine nous ramène à la préhistoire, il y a 10 000 ans. C’est tout naturellement que l’on parle de l’âge du cuivre, du progrès considérable qui marquera l’arrivée de l’âge du bronze, et de l’âge du fer, tout comme on parle de l’âge de pierre (taillée , polie). On devrait peut être parler de l’âge de l’aluminium marqué par les premiers traitements de la bauxite (de l’alumine à l’aluminium) dans la deuxième partie du XIXe siècle.
Serait-il raisonnable de parler de l’âge du plastique aujourd’hui ? Non, si on se réfère au qualificatif « âge » qui peut prêter à confusion. Des technologies différentes ont coexisté, le fer avec la pierre ou le cuivre par exemple, il y a 4 000 ans, et continuent à exister ensemble. S’il est possible de déterminer précisément la date de mise en place de nouvelles découvertes, l’utilisation de techniques ou de matériaux nouveaux ne fait pas pour autant disparaître techniques ou matériaux plus anciens. Dans Une Histoire des techniques, Bruno Jacomy souligne la différence entre découvertes scientifiques et techniques. Seules les premières conduisent à ce qu’on appelle en philosophie des sciences « des révolutions scientifiques » (T. Kuhn). Nous continuerons à vivre longtemps en compagnie de métaux et alliages, malgré l'émergence et la multiplication de l'utilisation de matériaux polymères. Par contre, si on mesure la quantité et la diversité des plastiques qui sont utilisés dans la vie courante aujourd’hui et qu’un archéologue trouverait enterrés dans 10 000 ans, il pourrait parler d' « âge du plastique ». On parle d'ailleurs de plasturgie depuis une cinquantaine d'années, par analogie à la métallurgie.
Sur le plan scientifique, on peut faire correspondre partiellement les étapes de la métallurgie classique à celles de l’industrie des plastiques. La phase d’extraction et de purification n’existe pas toujours pour les plastiques. Et pourtant, on peut utiliser des matériaux naturels polymériques à coté de matériaux synthétiques. On utilisait, il y a 28 siècles en Mésopotamie, des bitumes naturels dans la confection de poteries ou le calfatage de bateaux. Le latex utilisé par les indiens d’Amazonie donnera naissance à l’industrie du caoutchouc après la découverte de la vulcanisation par Goodyear au milieu du XIXe siècle (cf. fiche matière molle, Que Faire ?). Il y a plus d’un siècle, le celluloïd qui introduit l’ère des plastiques était préparé à partir de cellulose et de camphre. Aujourd’hui, l’utilisation de dérivés du pétrole intervient dans l’élaboration de matières plastiques (en 2002, 7 % de la consommation de pétrole brut sont utilisés pour la pétrochimie et principalement pour les polymères. « Graines de sciences 4 » Bernard Sillion). Par ailleurs, les polymères composent en partie de très nombreuses structures naturelles du monde animal et végétal. La cellulose qui est le constituant principal du bois et la plus abondante des substances organiques de la planète est faite de longues chaînes liées entre elles. La gélatine est obtenue à partir de peau et d’os des animaux (le collagène)… De nombreuses substances naturelles sont ainsi utilisées aujourd’hui dans l’élaboration de matériaux polymères, occupant la place de l’extraction pour les métaux.
Mais, à la différence de ces derniers, on peut envisager - et on réalise majoritairement - des matériaux plastiques nouveaux par synthèse à partir des éléments majoritaires carbone, azote, oxygène et d’autres. Le chimiste est ainsi un véritable alchimiste de la matière d’origine organique. Par la suite, tout comme en métallurgie classique, on fera des traitements thermiques des matériaux, on en réalisera des alliages, des structures composites. Ils seront mis en forme : fils, feuilles...
Les qualités mécaniques de ces matériaux polymères sont généralement inférieures à celles de leurs concurrents métallurgiques avec cependant un avantage quant au poids et à la diversité de leurs comportements mécaniques et rhéologiques. Certains matériaux sont tout de même assez résistants ; le Kevlar, par exemple, est utilisé pour fabriquer des gilets pare-balles.
Leur utilisation concerne beaucoup de domaines traditionnels de la métallurgie en particulier dans l’aéronautique ou l’industrie automobile. Aujourd’hui, se pose avec acuité le problème d’élimination des déchets, de recyclage, plus facile à envisager que pour les métaux, d’où l’existence de récipients spécifiques de récupération pour les plastiques des ménages.
La diversité des matériaux polymères, de leurs procédés d’élaboration, de leurs propriétés physicochimiques est considérable, et il n'est pas question ici d'en faire une étude systématique. Cependant, il peut être utile de chercher à en reconnaître les grandes familles en fonction de leurs propriétés, de leurs fonctions et de leur origine.
Un peu de chimie des polymères
On peut commencer par chercher à comprendre ce qu'ils ont en commun et définir quelques caractéristiques chimiques communes sans rentrer dans le détail de leurs structures moléculaires. Pierre Gilles de Gennes, qui reçut le prix Nobel de physique pour ses découvertes sur le sujet, n’hésitait pas à utiliser un plat de spaghettis ou des cheveux emmêlés pour faire comprendre (et peut être parfois pour comprendre lui-même ?) comment « ça marche ». Les matériaux plastiques sont en effet composés de molécules allongées que l'on appelle des polymères. D'après son étymologie, le nom veut dire « fait de plusieurs parties ». En effet, les polymères sont des chaînes de petits éléments ou monomères (un seul motif) qui sont mis bout à bout comme un grand nombre (par exemple une dizaine de milliers) de perles enfilées sur un collier. Si l'on grossit dix millions de fois une de ces molécules, on peut imaginer une analogie avec un spaghetti. Un matériau fait de polymères peut donc évoquer un plat de spaghetti dont les propriétés sont liées à la densité et l'organisation de ces spaghettis entre eux.
Pour obtenir un matériau solide, il est nécessaire de créer des liaisons entre ses éléments. Dans le cas des métaux et alliages, la « liaison métallique » est due aux charges électriques libres qui circulent entre les particules élémentaires du métal. Dans le cas des polymères, la liaison est due pour partie à des associations de chaînes (par exemple des noeuds entre chaînes) et à des liaisons chimiques entre chaînes.
On peut tout simplement utiliser ces longues molécules en solution dans un solvant approprié. Si la concentration de ces molécules est faible, elles se comportent indépendamment les unes des autres en faisant des pelotes (dites pelotes statistiques, par référence à la trajectoire au hasard d'une particule soumise à l'agitation thermique), illustrées figure 1(a). Dans les lances à incendie des pompiers de New York, on trouve un exemple d'application de ces chaînes en solution. Une quantité très faible de polymère hydrophile (quelques parties par million) est ajoutée à l'eau. Les chaînes sont étirées dans des écoulements du jet, ce qui modifie à son tour l'écoulement. Cela a pour effet de réduire la turbulence du jet, et, en permettant d'éviter que le jet ne se brise trop tôt, d'en augmenter la portée.
Si les polymères sont en plus grande concentration, ils s’enchevêtrent comme une longue chevelure en désordre (figure 1(b)). Ils pourront alors augmenter la viscosité de la solution : c’est ce que font les agents épaississant en cuisine (par exemple la gomme guar ( E 412 ; voir la fiche gels).
Figure 1: Représentation des chaînes de polymères en faible concentration (a)
et en plus grande concentration (b).
Dans cet état enchevêtré, les molécules peuvent se déplacer les unes par rapport aux autres comme un serpent qui se faufilerait entre des obstacles (Figure 2(a)). Pour cette raison, on parle de la reptation des polymères (Figure 2(b)).
Figure 2: État enchevêtré: reptation des polymères.
Ces polymères se rencontrent à l’état pur sous forme de polymères fondus. Cet état est à la base de la majorité de leur utilisation, par exemple pour leur permettre de s’écouler à chaud afin de les mettre en forme dans une presse ou pour en faire des fils dans une filière (ce que fait le ver à soie qui émet de la soie pour en faire son cocon tout naturellement). Si on fait passer ces pâtes un peu particulières dans un entonnoir, on peut voir qu’elles s’aligneront en partie pour passer, ce qui améliore la tenue mécanique du produit obtenu (c’est ce qui se passe dans la préparation du nylon).
Ces nouilles un peu particulières, au lieu d’être linéaires, peuvent avoir des branchements latéraux. On se doute que, dans ce cas, il sera beaucoup plus difficile de les séparer en secouant. On peut alors associer des chaînes linéaires de polymères en créant des ponts entre elles. On réalise une situation de polymères branchés dont la viscosité augmente avec le nombre de chaînes. Il existe une concentration critique de liens au delà de laquelle les chaînes sont connectées entre elles sur de très grandes distances. Le matériau devient solide : On l’appelle un gel. La préparation et les propriétés de gels sont illustrées dans une fiche Que faire ? F1 Les gels. Ces gels sont, notamment, à l’origine de nombreuses préparations culinaires avec des types très variés de liaisons entre chaînes que le cuisinier, tout comme l’ingénieur matériau, met à profit. On peut comprendre la gélation avec notre analogie des spaghettis. Rien n’empêche, si on laisse le temps à un plat de pâtes renversées sur la table et secouées continûment, de se séparer. On a donc affaire à un liquide qui peut être très visqueux si les chaînes sont assez longues. Pour faire un solide à partir de longues chaînes, il faut attacher les chaînes entre elles. Si on ajoute du fromage râpé aux spaghettis avant de les laisser refroidir, ils sont soudés par le fromage et forment un solide. Le comportement intermédiaire entre solide et liquide est abordé dans la fiche F2.
On peut faire des alliages de polymères comme si on enfilait des perles moléculaires de natures différentes. Ceci peut se faire au hasard ou de façon régulière exactement comme pour un collier. On peut ainsi mettre bout à bout deux chaînes différentes pour former des polymères blocs, avec par exemple un bloc qui a une affinité pour un solvant donné, et pas l’autre. Ces chaînes se disposeront par rapport au solvant selon cette affinité. Le polymère peut ainsi conduire à des organisations contrôlées. On peut ainsi réaliser des alliages beaucoup plus solides que dans le cas de chaînes qui possèdent un même motif répété. C'est également ce type d'organisation que l'on observe dans les membranes biologiques, même si ce ne sont pas des polymères qui les constituent.
Figure 3: (a) chaîne polymérique faite d'un bout hydrophile (bleu) et hydrophobe (rouge) utilisée pour réaliser un alliage (b)
L’illustration d’une recherche actuelle à l’ESPCI montre la réalisation d’un alliage : à gauche une chaîne faite de deux bouts hydrophile (bleu) et hydrophobe (rouge) . Un matériau constitué d’une phase hydrophile et hydrophobe pourra être réalisé en utilisant ces molécules médiatrices. Au niveau plus microscopique, c’est ce que fait le savon (fiche Que savoir ? capillarité). Comme pour leurs lointains cousins – les alliages métalliques- l’association de composés différents dans le solide augmente les qualités mécaniques de l’alliage polymérique. Dans le même temps, le matériau devient plus résistant aux agents chimiques.
Le plus souvent les polymères sont désordonnés et sont un état amorphe de la matière (tout comme du verre). Ces polymères peuvent cependant former des cristaux comme des solides usuels. Cet état confère des propriétés mécaniques plus proches de celles d’un solide. Tous ces états différents sont à l’origine de propriétés physiques et mécaniques très variables.
Nous remercions Dominique Hourdet pour des copies d’illustrations.