Questions to the experts
Matière et matériaux
Qu'est-ce que la masse ? Qu'est-ce que le poids ?
Je suis instituteur et je travaille avec une classe de 4e d'EREA (Etablissement Régional d'Enseignement Adapté) qui accueille des élèves en difficulté scolaire, avec des programmes adaptés de ceux des collèges-lycées. Dans une séquence consacrée à la gravité et à ses conséquences, nous avons vu que la masse s'exprime en kg, le poids s'exprime en Newton. Demain, je fais une séance dans laquelle je vais utiliser un pèse-personne. Ce pèse-personne va me donner des mesures en kg. Il mesure quoi, mon pèse personne ? Il mesure bien la manière dont la Terre attire ma masse. Et c'est bien là une définition du poids. Alors pourquoi me donne-t-il des kg ? Comment expliquer cela à mes élèves autrement que par des questions de commodité ? Comment mesurer une masse autrement qu'avec une balance (qui mesure pourtant un poids) ? La balance « traduit-elle » mon poids sur Terre en masse ? Alors si j'utilise ma balance sur la Lune, comment mesurer ma masse autrement que par un référentiel terrestre (ou terrien). Avant Newton, comment parlait-on de masse et de poids ? Faisait-on la distinction ? Et de quelle manière ?
La réponse à la dernière question est en fait contenue dans la première question : la distinction réelle et fondamentale entre masse et poids est récente. L'utilisation du newton comme unité de force a à peine une trentaine d'année, auparavant on connaissait la dyne et le kilogramme-force, qui est ce que mesure le pèse-personne. On ne distinguait pas clairement la masse de la force à laquelle elle est soumise sur la Terre.
Je pense que la conquête spatiale, les objets en apesanteur (le whisky du capitaine Haddock) ont beaucoup fait pour introduire la différence entre poids et masse. Pour mesurer une masse indépendamment de la pesanteur, il faut la soumettre à une force et mesurer son accélération. Je proposerais de suspendre cette masse à un ressort dont on a mesuré la raideur, par exemple en lui accrochant une masse dont on connaît le poids et en mesurant son allongement. On fait ensuite osciller la masse M qu'on veut mesurer et on mesure la période T de ces oscillations. On peut alors relier la masse à la période par une formule simple. Ca marche aussi sur la Lune, mais il vaut mieux avoir fait l'étalonnage du ressort sur Terre.
Que dire à des enfants en difficulté sur la différence entre masse et poids ? D'ou ont-ils vu que leur poids s'exprime en newtons ? Quand ils se pèsent, ils ont leur poids en kg ! Encore une fois, le langage courant peut ne pas aider à faire la différence entre ces deux notions complémentaires.
Une image : ils vont chez le marchand de primeurs, ils achètent 1 kg d'oranges ; ils voient les oranges, il y en a 5 ou 6 et leur masse totale est de 1 kg ; puis ils prennent le sac contenant les oranges et là, au bout d'un moment, ça tire sur leur bras : le kilo d'orange subit une force vers le bas, qu'on appelle son poids. Plus la masse est importante, plus le poids est grand.
On dit en physique que le poids est proportionnel à la masse, mais de plus, alors que la masse est une grandeur sans direction, le poids a une direction : il est toujours dirigé vers le centre de la Terre. Une masse de 1 kg correspond à un poids d'environ 10 newtons dirigé vers le bas, s'ils veulent vraiment mettre les unités correctes; mais, encore une fois, dans le langage courant, on ne fait pas la différence et on dit que les oranges "pèsent" 1 kg. Et eux pèsent 60 ou 70 kg, alors qu'en physique on dirait que leur masse est de 60 ou 70 kg et leur poids de 600 ou 700 newtons.
La relation de proportionnalité entre poids et masse provient en fait d'une interaction entre l'objet pesant et celui qui l'attire ; dans notre cas, lorange ou tout objet ayant une masse est attiré(e) par la planète Terre et le coefficient de proportionnalité résulte de cette interaction. Sur une autre planète, l'attraction est différente et le coefficient n'est pas le même; l'exemple classique est de comparer avec ce qui se passe sur la Lune, qui est un astre beaucoup moins massif que la Terre. Elle attire donc beaucoup moins que la Terre, et le coefficient de proportionnalité est plus petit : le même kg d'oranges, qui pèse sur Terre 10 newton, ne pèse sur la Lune que 1,7 newtons. Et un astronaute, qui avec tout son barda a une masse de près de 200 kg a un poids sur la lune 6 fois plus faible que sur Terre, ce qui lui permet d'esquisser des pas de danse.
Plus sérieusement, c'est ce qui explique que l'atmosphère lunaire n'est pas retenue, contrairement à ce qui se passe sur Terre, ou l'air est "retenu" dans l'atmosphère par la gravitation (c'est-à-dire l'attraction terrestre, responsable du poids).
Que mesure le pèse-personne ? Il est gradué pour une utilisation sur Terre, et donc, on l'a gradué en unités de masse, même si c'est un poids que l'on mesure : on monte sur le pèse-personne, et notre poids fait déplacer une aiguille. Si on a une masse de 60 kg, le pèse-personne indique "60" kg et non pas 600 newtons. Si on apporte le pèse-personne sur la Lune, notre masse de 60 kg (toujours, évidemment, la masse est ce qu'on appelle un "invariant" dans la mécanique classique) n'indiquerait sur le pèse-personne qu'un "poids" de 10kg (en fait 100 newtons au lieu de 600) ! Il faudrait des pèse-personnes gradués "lune" pour indiquer un poids correspondant à la masse réelle.
Il convient de bien faire la différence entre la masse et le poids, chose que l'on ne sut faire qu'avec la notion de gravitation, donc après la publication des Principia Mathematica de Newton en 1687. Dans le premier paragraphe des Principia on peut lire : Je désigne la quantité de matière par les mots de corps ou de masse. Cette quantité se connoît par le poids des corps : car j'ai trouvé par des expériences très exactes sur les pendules, que les poids des corps sont proportionnels à leur masse (traduction de la Marquise Du Chastellet).
Il en est de même de la notion de force. Malgré une méconnaissance de ces deux concepts, les philosophes essaieront avec plus ou moins de succès d'expliquer les méthodes de levée et de pesée de charges (plan incliné, levier, levier coudé, balance Romaine), méthodes utilisées bien avant le XVIIe siècle.
Tant que l'on fait des mesures comparatives, on mesure toujours une masse par rapport à une autre masse, donc on trouve toujours la même valeur quel que soit le lieu d'observation. Si l'on mesure une force, avec un dynamomètre par exemple, on mesure une accélération (combinaison de l'attraction terrestre et de la force centrifuge liée à la rotation terrestre), on mesure un poids. Alors le résultat varie avec le lieu de mesure.
Les masses sont exprimées en kilogramme et les poids en kilogramme * mètre/seconde carrée (kilogramme force) ou en newton.
Il y a en réalité deux propriétés conceptuelles différentes : la masse inertielle et la masse gravitationnelle. La première est liée à l'inertie et l'autre est liée à la gravité.
La masse inertielle mesure l'effort à exercer pour changer l'état de mouvement d'un corps. La masse gravitationnelle est le couplage du corps avec le champ de gravité. L'identité de ces deux masses constitue le principe d'équivalence. Il en résulte que tous les corps subissent la même accélération. Actuellement, le principe d'équivalence est vérifié avec une précision d'une partie pour dix puissance douze; le projet spatial MICROSCOPE retenu par le CNES testera ce principe avec une précision que l'on espère au moins égale à dix puissance moins quinze.
Il y a deux manières de mesurer les masses : soit par comparaison avec une autre masse de référence, soit par mesure de la force d'attraction que subit cette masse, ce qu'on appelle communément le poids.
Pour comparer des masses entre elles, on utilise une balance à plateaux ou tout autre équivalent. L'étalon est un cylindre de platine iridié conservé au Bureau international des poids et mesures.. Dans ce cas, la gravitation n'intervient pas (du moment qu'elle n'est pas nulle quand même) parce qu'elle a la même influence sur les deux masses. Qu'on pèse 1 kg de farine sur Terre ou sur la Lune, on trouvera toujours la bonne réponse et dans ce cas on mesure bien une masse.
Si on utilise un pèse-personne, il y a dedans un ressort (ou son équivalent) qui se déforme en proportion de la force exercée dessus. On mesure donc une force particulière ici, le poids : masse x pesanteur (ou accélération gravitationnelle). Le résultat est donc un poids et on ne peut le graduer en kg (donc en masse) que si lon suppose la pesanteur constante. Dans ce cas, si un terme est constant, il est tout à fait légitime de traduire la force mesurée par la masse qui a produit cette force, et donc d'inscrire des kg et pas des Newtons.
On calibre ce ressort avec des masses connues dans un lieu précis. Il est alors faux d'utiliser ce pèse-personne n'importe où alors que l'accélération gravitationnelle n'est pas la même en tout point de la Terre. Bien sûr, les différences sont en fait négligeables au regard de la précision du pèse-personne! Si on emmène ce pèse-personne sur la Lune, on trouvera une force six fois plus faible mais, comme la graduation est en kg, on en déduira une masse six fois plus faible alors que c'est en fait l'accélération gravitationnelle qui est six fois plus faible. Il faudrait alors avoir une balance intelligente dans laquelle on pourrait programmer la valeur de la pesanteur du lieu pour qu'elle donne la réponse en kg. On peut aussi recalibrer la balance en emportant une masse connue et en la pesant sur la Lune.
Je ne suis pas expert des questions historico-scientifiques. Je crois cependant que Galilée a travaillé sur les problèmes de masse et qu'il a été le premier à dire que la masse inertielle et la masse gravitationnelle étaient identiques. Cela implique qu'il y avait déjà une notion de poids et de masse (sans pour autant parler de pesanteur dont la notion a été découverte par Newton) mais ce que je dis mériterait d'être confirme par les historiens.
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Un pèse-personne mesure une force, il mesure donc votre poids, qui est la force avec laquelle la Terre vous attire vers elle. D'ailleurs, si vous sautez sur place, l'indication de votre pèse-personne va augmenter fortement pendant une fraction de seconde : pour vous propulser vers le haut, vous avez poussé sur vos jambes avec une force supérieure à votre poids. Le pèse-personne traduit cela, faussement, par une augmentation de votre masse. Il est gradué en kg pour des raisons de commodités : sur Terre, le rapport entre le poids et la masse est à peu près partout égal à l'accélération de la pesanteur, i.e. 9,8 m/s^2.
Utilisé sur la Lune, le pèse-personne indiquera une valeur de masse fausse car la pesanteur lunaire étant six fois moindre que celle de la Terre, votre poids y sera aussi six fois moindre. Votre masse, qui quantifie la quantité de matière dont vous êtes constitué, n'aura évidemment pas changé ; c'est une quantité intrinsèque. Une autre façon de voir la masse est de dire qu'elle traduit l'inertie d'un corps, sa répugnance à changer d'état de mouvement sous l'action d'une force. Le poids est une force, celle que vous subissez plongé dans un champ de pesanteur.
Vous posez le problème de la mesure directe de la masse. Deux façons me viennent à l'esprit. Pour mesurer directement une masse, il faut utiliser un dispositif qui ne dépende pas de la pesanteur : avec une balance de Roberval, on compare un corps et une masse étalon plongés dans le même champ de pesanteur qui, du coup, ne joue plus de rôle (s'il est non nul !). On peut aussi attacher la masse à déterminer à l'extrémité d'un ressort et mesurer la période des oscillations de celui-ci. Cette période est proportionnelle à la racine carrée de la masse à mesurer (si l'on néglige la masse du ressort, les frottements, etc.). Je crois que c'est la méthode utilisée pour peser les astronautes en orbite. Elle a aussi été utilisée pour peser des bactéries, accrochées au bout d'un minuscule fil de carbone.