Questions to the experts
Energie, lumière, son
Filtres et pigments dans la synthèse des couleurs
Les explications très claires de Françoise Chauvet nous ont permis de mettre en place des expériences avec les enfants sur la synthèse soustractive des couleurs.
Cependant je me heurte toujours au même écueil. Une fois que les enfants (et les enseignants) ont bien compris le système avec les filtres, ils se lancent dans la création de couleur avec les pigments, et alors, ce qu'ils avaient compris avec les filtres ne "marche" pas. Nous faisons bien le distinguo entre couleur "lumière" et couleur "matière", et ce n'est pas là notre écueil.
Je cite un extrait d'une page de votre site : "On peut modéliser le rôle de ces pigments par des filtres qui rendent compte de leur pouvoir absorbant, et modéliser ainsi le mélange de ces "couleurs-matière" par le mélange de lumières traversant ces filtres." Ce en quoi vous êtes en phase avec la plupart de nos ressources scientifiques.
A quantités identiques, les résultats diffèrent suivant que l'on utilise des filtres ou des pigments.
- Avec les filtres :
- le cyan mélangé au jaune donne du vert ;
- le magenta et le cyan donnent du bleu ;
- le magenta et le jaune donnent du rouge.
- Avec les pigments :
- le magenta mélangé au cyan donne du violet et non du bleu ;
- le magenta mélangé au jaune donne de l'orange et non du rouge.
Pourquoi cette différence ?
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A mon grand regret, je vais répondre que ceci est une question qui n'a pas de réponse qualitative, mais seulement quantitative.
Je cite : "On peut modéliser le rôle de ces pigments par des filtres qui rendent compte de leur pouvoir absorbant, et modéliser ainsi le mélange de ces "couleurs-matière" par le mélange de lumières traversant ces filtres." Ce en quoi vous êtes en phase avec la plupart de nos ressources scientifiques."
Oui, mais le "mélange de lumières" se fait-il de la même façon pour le "pouvoir absorbant" des filtres et pour le "mélange de couleurs-matière" ? Pour les filtres, on peut dire avec une bonne approximation que la lumière qui traverse successivement deux filtres subit successivement l'absorption par l'un puis par l'autre.
Pour les pigments, quand on a mélangé 10 g de pigment magenta avec 10 g de pigment cyan, dans le mélange le magenta est plus dilué que dans du pigment magenta pur et le cyan est plus dilué que dans du pigment cyan pur. La lumière qui ressort est donc partiellement absorbée par le magenta, partiellement par le cyan, ce qui ne revient pas au même que de dire que la lumière est d'abord absorbée par le magenta et ensuite par le cyan. Vu la complexité du phénomène de diffusion de la lumière, dont l'étude reste un problème de recherche ardu, il me semble impossible de décrire le comportement des pigments par une loi aussi simple que la succession des absorptions par chacun des composants du mélange applicable aux filtres transparents. Ou du moins je manque de compétence pour aller plus loin.
En outre, que dit le modèle si on mélange 15 g de magenta avec 5 g de cyan, ou réciproquement ? Un tel mélange est possible, alors qu'il est impossible de faire traverser la lumière à "un filtre magenta et demi" puis à "un demi-filtre cyan" !
En revanche, il est possible de la faire successivement traverser trois filtres magenta et un filtre cyan (ce qui garde les proportions 15/5). Alors se pose la question : quand la lumière traverse un filtre magenta, deux filtres magenta, trois filtres magenta, cela revient-il au même ?
Avec un filtre magenta idéal qui laisserait passer toute la partie bleue et toute la partie rouge du spectre et rien d'autre, la réponse serait « oui », le deuxième et le troisième filtres ne servant à rien puisqu'ils absorberaient une couleur qui a déjà été éliminée par le premier. Mais on peut penser que les filtres réels n'ont pas cette propriété idéale, ils laissent passer "un peu de bleu tirant vers le vert" et "un peu de bleu tirant vers le violet" et "tout le bleu moyen" (et le "un peu" est mesurable) et qu'en outre suivant la méthode de fabrication exacte, ils sont différents les uns des autres, donc la superposition de deux filtres identiques n'est pas équivalente à un filtre unique.
Les colorimétristes ont des normes précises au sujet de ce qu'on peut appeler un "filtre magenta" et continuent de les affiner (voir http://www.cf-couleur.fr/ et cliquez sur "le bulletin Primaires").
Considérons un filtre idéal rouge et un filtre idéal bleu (couleurs primaires) : en principe, si on les superpose, il ne passe rien du tout. Pour nous rapprocher du cas des pigments, considérons maintenant le mélange de "rouge primaire" et de "bleu primaire" d'une boîte de couleurs. L'expérience courante est qu'on obtient du violet, pas un beau violet bien saturé et bien lumineux mais un violet un peu terne, ce qui veut dire que les couleurs des boîtes de couleurs, même dites primaires, ne correspondent pas à des filtres idéaux et ne se comportent pas comme eux.
Un modèle un peu plus vraisemblable est le suivant. Je reprends votre exemple d'un pigment magenta et d'un pigment cyan. Le pigment magenta laisse passer "beaucoup" de rouge et de bleu et "très peu" de vert, le pigment cyan laisse passer "beaucoup" de bleu et de vert et "très peu" de rouge. Leur mélange laisse passer "beaucoup" de bleu et "un peu" de vert et de rouge. Le fait que vous obteniez du violet ne peut s'interpréter qu'en examinant le comportement détaillé des pigments que vous avez utilisé. Mais mon exemple montre que l'idée d'un comportement purement soustractif des pigments est une approximation.
Avec cet exemple, ma seule ambition est de montrer que le problème est de nature quantitative, sans instrument de mesure et équations on ne rend pas compte de tout.
Donc, dire que le mélange des pigments obéit aux mêmes lois que la superposition des filtres est une approximation un peu grossière.